Le grand manitou de la production française avait beau avoir promis qu’il mettait un terme à sa carrière au tournant des années 2000, il signe aujourd’hui Malavita, son quinzième long métrage. Polar mafieux mâtiné de comédie et garni d’un casting américain à faire pâlir le box-office, le film se présente comme un blockbuster gaulois prêt à engranger les euros. Mais il est parfois dommage de ne pas tenir ses promesses.
Adaptation éponyme du roman de Tonino Benacquista, Malavita joue avec les codes cinématographiques de la mafia immortalisés par Coppola et Scorsese (qui est d’ailleurs crédité en tant que producteur exécutif). Reprenant la figure du pentito (malfrat repenti ayant témoigné contre son camp et bénéficiant du programme de protection des témoins), incarné ici par Robert De Niro, le film suit les Manzoni (rebaptisés Blake), famille italo-américaine planquée dans un bourg normand pour échapper à la vendetta orchestrée par un Parrain new-yorkais. Alors qu’ils devraient tous faire profil bas, chaque anicroche avec un voisin offre l’occasion à un membre de la famille d’exprimer sa nature ultra-violente, quitte à se faire remarquer…
Alors que le titre du film (et du roman) fait allusion au canidé du clan Manzoni/Blake, on aurait aimé qu’une partie de cette histoire soit observée à hauteur de chien. Cela aurait sans doute créé un point de vue inédit, idéal pour éviter les clichés. Mais que nenni. Besson enfile comme des perles tous les poncifs du film mafieux : l’incontournable scène de barbecue (la barbaque symbole d’une certaine virilité) où toutes les sommités mafieuses locales sont invitées, les femmes des mafieux qui parlent trop fort (et sont forcément plus décolorées qu’en version normande), les nappes à carreaux rouges et blancs, les scènes de prison à NYC où l’on mange de bonnes pasta en sirotant des vins italiens. Bref, on croit visionner un ersatz d’épisode des Soprano, pire, compulser « la mafia pour les nuls ».
Mais fort de son goût pour les clichés, le réalisateur ne se contente pas de croquer avec bêtise les Américains. Grossiers personnages dotés d’un accent anglais à faire pitié (ne leur manquent que la baguette et le béret) ou fouineurs malintentionnés (et sales) mais étrangement parfaitement bilingues, les Français sont aussi bien servis. Si ce détail langagier peut paraître anecdotique, il se révèle rapidement le symptôme d’un irréalisme constant. Les adolescents normands parlent américain presque mieux qu’un yankee ou encore le film se déroule à la fin du siècle dernier (les francs sont encore en circulation), mais on s’envoie quand même des SMS par portable. Ce décalage linguistique s’explique sans doute par la volonté de complaire aux exigences de distribution américaine du film mais pour les anachronismes, on est en droit d’y voir une écriture bâclée qui préfère ne pas perdre de temps à brosser le portrait d’une autre France que celle attendue par les Américains. Cet asservissement aux stéréotypes les plus éculés catalogue définitivement Besson du côté des cinéastes opportunistes, plus intéressés par l’efficacité économique de leurs films que par une quelconque rigueur cinématographique. Ces raccourcis venant d’auteurs US sont souvent agaçants, mais émanant d’un cinéaste hexagonal, ils sont parfaitement inacceptables.
On pourrait oublier (ou avaler) ces crampes scénaristiques si la réalisation osait un tant soit peu sortir de ses gonds bien huilés. Mais là encore, facilité à tous les étages. Après une scène d’ouverture brutale plutôt réussie (elle remémorera l’ambiance de Leon à certains), Malavita fait preuve d’un minimum syndical consternant. La violence y est banalisée sans jamais gagner une épaisseur signifiante à l’écran. La jeune Belle (Dianna Agron, la pom-pom girl de Glee), blonde, souriante se transforme ainsi en furie tabasseuse mais les coups tombent à plat. Pas crédible ou mal amenée, la scène fait pschitt. Et toutes les (nombreuses) autres séquences de baston sont à l’avenant. Pour un métrage sur le Milieu, ne pas maîtriser la mise en scène de la violence (de façon tragique ou comique d’ailleurs) rime avec catastrophe cinématographique. Toutefois, au milieu de ce naufrage, surnagent quelques secondes magnifiques. Invité à présenter un film dans le ciné-club du coin, De Niro se retrouve spectateur des Affranchis. Le gros plan de son visage, vieilli, ému, raconte plus sur cette époque révolue (le Nouvel Hollywood, le monde des gangsters old school, l’âge d’or d’un grand acteur) que tous les longs discours. Mais la parenthèse ne dure guère, et Malavita de retomber vite fait sur ses grosses pattes à coups d’explosions en tout genre.