Il aura fallu le passage du courant post-moderne pour donner une seconde chance aux icônes noires de la culture pop : après la relecture réjouissante de Julia Roberts de la méchante reine dans le Blanche Neige de Tarsem Singh, voici venir Angelina Jolie pour celle de La Belle au bois dormant, cette fois sous l’égide très officielle du studio Disney. Le studio aux grandes oreilles aura-t-il su mettre de côté son conservatisme notoire pour donner une véritable ampleur à son personnage, ou Maléfique n’est-il rien de plus qu’une juteuse opération commerciale de recyclage ? La balance penche en faveur d’une relecture moderne, intelligemment conçue, mais handicapée par un respect trop servile à l’égard du film de Clyde Geromini.
Tradition orale
Impressionnante magie que celle des frères Grimm, de Charles Perrault ou de Hans Christian Andersen : par le truchement du papier, les contes sont devenus canons ; les récits du merveilleux, une part immuable de la culture dont on ne saurait, décemment, dévier. Pourtant, il est bien légitime de se les approprier, comme toute histoire : le droit premier du conteur est de dire « je préfère ma version à moi ». Il suffit de voir la distribution côté scénario pour s’en rendre compte : Linda Woolverton, au scénario de Maléfique, vient après une dizaine de personnes, dont elle reprend partiellement les travaux. Mais, à n’en pas douter, elle préfère sa version. Que cela soit dit : nous aussi.
Il s’agit donc de nous présenter Maléfique, jeune gardienne du royaume des fées, qui va passer de joyeuse et insouciante à vengeresse et… maléfique, après sa confrontation avec la veulerie intrinsèque du cœur des hommes. C’était couru d’avance : le nom d’une fée la lie, décide de son devenir sans qu’elle puisse y échapper. Mais, il lui est donné de nuancer ce destin, de faire des choix plus subtils, plus ambigus – ce qui sera le cas du personnage créé par Linda Woolverton, et campé par Angelina Jolie. Alors que la série d’affiches du film la montre d’une blancheur d’aspirine, le film n’adopte jamais cette esthétique, laissant à l’actrice le soin d’interpréter les doutes, colères et tourments du personnage. Engoncée dans des costumes formidables, elle parvient cependant à exister, sans jamais donner dans les excès caricaturaux de Charlize Theron en méchante reine dans Blanche-Neige et le chasseur.
Merveilles et entraves
Ces costumes sont la partie émergée de l’iceberg, mais la qualité première de Maléfique est sa direction artistique, absolument formidable : la doit-on à David Allday et à son équipe, ou plutôt à l’influence de Robert Stromberg, technicien d’effets spéciaux dont c’est ici la première réalisation ? Mystère, mais le CV du second est fourni en réussites graphiques : Le Labyrinthe de Pan, À la croisée des mondes, Captain Sky, Les Chroniques de Riddick… Le monde féerique de Maléfique est tout à fait impressionnant, sans la moindre fausse note capable de briser le charme, loin des fautes de goût qui ont accompagné les premiers temps des effets spéciaux numériques.
Crédible, voire enthousiasmant, cet univers graphique est plaqué sur un récit qui s’attache à surprendre, à fouiner dans les recoins d’un conte qu’on croyait connu pour y débusquer une autre histoire, plus profonde et plus émouvante que le très programmatique scénario de La Belle au bois dormant. Dans l’ensemble, la tentative est convaincante – mais le script de Linda Woolverton peine parfois à se détacher complètement du film de 1959. Dans ces moments, Maléfique semble englué dans un passé encombrant, pataud : le statut de « classique », si complaisamment attaché à tous ses films par Disney, comme celui de chef d’œuvre est attaché à tout nouveau film du studio Ghibli – qui a dit « galvaudé » ? On croit donc assister à un conflit entre la fidélité servile à un mythe autoproclamé et une relecture intelligente – conflit sans lequel Maléfique aurait sans nul doute été encore plus enthousiasmant. Malgré tout, en l’état, que Robert Stromberg et Linda Woolverton soient rassurés : on préfère leur version à eux.