Entre deux fictions, Claude Miller s’accorde une halte documentaire et pose sa caméra en Virginie, trois mois avant l’élection du super-héros Barack Obama et pendant les préparatifs d’un événement non moins considérable, le match de football opposant les deux universités de l’État. La petite histoire rejoignant la grande, le candidat démocrate réconcilie les adversaires d’un soir, dans une belle farandole dont les États-Unis bigger than life ont le secret. En définitive, on aurait préféré un développement plus consistant de la petite histoire – les fanfares universitaires – plutôt qu’un raccommodage un peu forcé avec l’actualité.
À son corps sans doute défendant, Marching Band est un exemple intéressant d’un phénomène médiatique préoccupant, celui de la synecdoque médiatique : la partie (l’élection d’Obama et ses symboles) est prise pour le tout (le contexte socio-politique du pays). Le nouveau président des États-Unis se mue en formidable kaléidoscope social dans lequel aspirations et fantasmes se réfléchissent et s’aplanissent, comme un trou noir exerçant son irrésistible attraction sur les satellites tournoyant autour de lui. L’image d’Obama phagocyte les discours sociaux, les aspire et les mêle à une même tambouille consensuelle, celle-ci saupoudrant d’Obama n’importe quelle manifestation populaire et d’apparence progressiste. Le film de Claude Miller est dans l’œil de ce cyclone : l’allégresse du vivre ensemble, du partage de la même passion enivrante est mis directement en parallèle avec des bouts de discours volontaristes scandés par la star en campagne. La prégnance d’un tel sophisme s’explique par sa valeur simplificatrice et fédératrice dont sont friands la télévision ou la presse à grand tirage. Par opposition, on attend du cinéma une posture en retrait, moins fasciné par le symbole.
Comme il est d’usage dans l’industrie sportive nord-américaine, chaque match est longuement interrompu par des spectacles de pom-pom girls et des démonstrations viriles d’arrachages de paniers. Même les matchs universitaires, dont certains sont retransmis sur les réseaux nationaux et réunissent plus de 60 000 spectateurs, connaissent le même sort. En Virginie, ce sont les fanfares qui occupent ce rôle et font tinter leurs cuivres au rythme des palpitations houblonnées des supporters. Le film s’intéresse en premier lieu à ces orchestres, à leurs répétitions et aux liens qui se tissent entre les musiciens et les éducateurs. À cette volonté de départ vient donc s’adjoindre le phénomène des élections présidentielles, l’excitation des troupes se mêlant à une certaine désinvolture politique : nous ne sommes pas dans le discours mais l’incantation. Cette constatation, si elle est plutôt drôle et pittoresque de prime abord, finit par lasser. Ces jeunes n’ont absolument rien à dire sur le sujet, excepté la récitation de quelques slogans lapidaires, et sont bien plus convaincants bouche sur le tuba. À vouloir élargir le sujet, Claude Miller ne fait que restreindre la portée de son film. Traiter des phénomènes collectifs propres à la sphère américaine comme les enrôlements universitaires dans les fanfares ou les équipes de foot était sans doute plus pertinent sociologiquement que se cantonner à l’avènement du nouveau messie cathodique. Ce désir de socialisation au sein d’un univers très individualiste est partiellement traité mais de façon trop insuffisante pour ne pas frustrer le spectateur curieux.
Claude Miller s’est adjoint deux assistants, dont un documentariste, afin de mener à bien cette première expérience hors de la fiction. Est-ce un indice du peu de confiance que le cinéaste place en ses capacités d’écriture documentaire ? En tout état de cause, le film est diablement rythmé, d’une construction alerte et fluide : les séquences de captation des répétitions et des morceaux pachydermiques joués en chœur sont particulièrement impressionnantes et constituent sans doute le versant le plus excitant du projet. Quand il s’agit par contre de calmer le jeu et s’immiscer dans la vie des jeunes étudiants, l’écriture est moins assurée, plus pataude. Désirant saisir l’instant fatidique du vote d’un jeune afro-américain, la caméra opère un lent travelling circulaire autour de la machine électronique et se niche derrière l’épaule de l’adolescent. Soudainement conscient de la limite à ne pas franchir – l’inviolabilité du vote, l’intimité presque sacrée du geste républicain – la caméra se cambre avant d’esquisser un recul inattendu en plan large. Si ce geste spontané peut ne pas prêter à conséquence, il est tout de même symptomatique d’une certaine gaucherie, ou du moins d’une difficulté à cerner la distance à tenir entre filmants/filmés. Cet intervalle n’est jamais vraiment réussi, la caméra est trop participante pour ne pas influer sensiblement sur le cours des choses et attirer les regards d’adolescents soucieux de leurs reflets dans l’objectif. Le pari de la spontanéité n’est pas tenu, celui de l’attractivité l’est sans doute plus, de par un montage vif et captivant. De quoi sauver le film d’un dispositif et d’une démarche plutôt approximatifs.