Comme le laissaient prévoir son titre et son pitch, inutile d’entrer dans Match retour si l’on n’a pas vu le match aller (si l’on n’a pas préalablement été faire un petit détour du côté de chez Rocky Balboa et Raging Bull). Pour preuve, le film ne se déroulera pas intégralement devant nos yeux – tout occupé qu’il est à surfer sur la vague rétrospective qui déferle sur Hollywood depuis quelques années (de Gran Torino à Expendables). Avant, il faut avoir emmagasiné d’anciennes images qui, dans Match retour, rappliquent pour offrir à la fois une dernière ronde bouffonne, faisant la part belle à l’auto-dérision des deux têtes d’affiches, et un dernier round un peu plus sérieux, opposant deux visions du monde.
Soirée diapo
Voilà trente ans que l’affrontement entre Henry « Razor » Sharp (Stallone) et Billy « The Kid » McDonnen (De Niro) attend son dénouement ; ce troisième match que les deux boxeurs n’ont jamais disputé après deux manches et une victoire chacun. La retraite aussi mystérieuse que prématurée de Razor a laissé en suspens l’un de ces grands duels entre champions. Rendus à une vie plus normale, les deux pugilistes de légende vivotent dans l’espoir d’oublier cette époque (Razor) ou d’avoir enfin l’occasion de prouver qui était le meilleur (The Kid). Sous l’impulsion d’un jeune promoteur sportif (Kevin Hart), le match retour s’organise et, dès lors, le film accélère ce qu’il avait déjà entamé dans les scènes d’expositions : un défilé d’images iconiques, déterrées comme des artefacts, abîmées par le temps passé à l’abri des regards. On aura donc le droit à une soirée diapo pleine de clichés nostalgiques, gentiment moqués parce qu’ils sont un peu poussiéreux, avec notamment un De Niro en plein numéro d’entertainer dans son restaurant et un Stallone ingurgitant son fameux cocktail matinal composé de six œufs crus. Progressivement, Match retour prend dangereusement l’allure d’une partie de cache-cache un peu bébête où les deux têtes d’affiche s’agitent gauchement pour se mettre dans des situations qui justifieront, tant bien que mal, l’évocation d’une image qui fit leur gloire d’antan.
Fétichisme et blasphème
Malgré cette marche forcée des clichés, ce pèlerinage cinématographique un peu vain en surface, Match retour travaille quelque chose d’un peu plus consistant en profondeur. La grande entreprise de recyclage imagier menée par le film provoque – peut-être involontairement – une dévaluation des modèles auxquels elle ne cesse de se référer. Lorsque Razor révèle qu’il a un penchant artistique – il réalise des petites sculptures avec des bouts de métaux ramassés dans l’usine où il est ouvrier – difficile d’y voir autre chose qu’une confession de Peter Segal : comme son personnage, le réalisateur-ouvrier s’est employé à reprendre quelques rebuts de l’industrie hollywoodienne dans l’objectif de proposer une œuvre à l’image des petits animaux en métal de Razor – modeste et sans grande originalité. Dès lors, l’application du cinéaste à caricaturer les grandes images de la culture américaine (même l’hymne national y passe, lamentablement chevroté par Razor et The Kid) relève à la fois du fétichisme le plus primaire et du blasphème le plus ambigu : en tournant en dérision ces symboles, Peter Segal simultanément les sauve et les confronte à ce qu’elles ont de dérisoire. Dégrader pour mieux révérer : c’est le grand paradoxe du film qui ne fonctionne que grâce à la pérennité d’images qu’il assemble pourtant dans un patchwork parfaitement anecdotique.
De quoi Rocky et Raging Bull sont-ils le nom ?
Assez finement, malgré tout, Match retour s’avère être un peu plus qu’une simple machine à détourner les images. Progressivement, le film fait l’inventaire des symptômes de vieillesse : la bedaine, le souffle court, l’incontinence, mais aussi les regrets, la rancœur, la nostalgie… Ce ne sont pas uniquement les corps qui encaissent les coups du temps, mais aussi le moral. De quoi permettre à Segal d’amorcer le véritable enjeu du match retour : non pas un affrontement entre deux stars décaties, mais entre deux caractères, deux façons de voir le monde. Stallone et De Niro s’extraient petit à petit de leur valse de vieux pantins cabotins et reviennent, avec un sérieux un peu raide dans son intention didactique, à l’essence des rôles qu’ils ont incarnés respectivement en 1976 et 1980 : tandis que le premier rejoue sa partition de working class hero, émissaire quasiment christique du monde ouvrier, le second réactive ses réflexes narcissiques et exhale un lourd parfum de beaufitude et d’hybris agressif. Voilà, au fond, le véritable mérite de Match retour : offrir, plus de trente ans après, la confrontation directe entre deux éthiques, deux morales, deux trajectoires stéréo-typiquement américaines (le loser noble et le winner grossier).
Mentalité de pubard
Seul hic dans ce programme somme toute attirant : la manière dont l’intrigue accorde une grande importance à la promotion du match retour à travers des happenings publicitaires sous diverses formes afin de susciter le buzz (cf. la très grossière « propagation » des images dans un travelling passant d’un portable à une tablette puis un ordinateur, tous tenus par des jeunes à franges). Ce parti-pris scénaristique ne s’accorde malheureusement que trop bien avec la mentalité de pubard qui s’infiltre dans un bon nombre d’images et qui, de ce fait, empêche le projet dialectique (jeune vs. vieux et mythique vs. anecdotique) de s’épanouir pleinement. Car, en parallèle d’une campagne de placement de produits peu discrète (notamment celle concernant la chaîne de supermarché Target, lorsque le logo de la marque, une cible, est utilisé dans le sens littéral), c’est tout le film qui cherche à nous vendre quelque chose : lui-même. Toute son esthétique bling-bling reposant sur des scènes courtes et aguicheuses, facilement déchiffrables et composées de nombreux mouvements de caméra insistants, renvoie à celle de la publicité : rien n’est gratuit ou pour la beauté du geste (ce que le combat final est supposé être), tout cherche à servir une seule cause nombriliste – celle qui réduit la réalisation à du marketing et le film à un produit.