Pour l’une, c’est la danse hip hop ; pour l’autre il faut rapper. À chaque fois, l’adolescence au féminin, âge des possibles et prise de liberté sur le monde. On se souvient de la jeunesse heurtée aux murs de Fish Tank ; ici le cadre n’y ressemble qu’en partie. C’est bien ce qui cristallise l’ambivalence adolescente : la ville de Marseille et ses quartiers Nord, laissés aux mains de trafiquants (dont le frère de Lenny, qui la soumet chaque jour à son tour de guet) en même temps qu’ils offrent un beau panorama, dégagé, sur la baie et les criques accessibles en quelques brasses.
Fish Tank
C’est donc là-bas que Lenny fait son apprentissage de la vie. Indomptable, la jeune femme se rêve rappeuse mais n’a pas la confiance requise pour partager sa passion avec les autres. Elle gribouille ses textes dans son coin, partout où elle va ; travaille son phrasé au milieu de la nuit, seule dans un recoin abandonné. C’est là, un soir, que la jeune Maxine sort de l’ombre, l’incite tout à coup à continuer. De là naît d’une belle amitié, celle de deux caractères antagonistes que réunissent les deux jeunes filles : l’une fermée comme une huître, hostile à toute intrusion ; l’autre chaleureuse et dévouée à ceux qu’elle aime. Et tout en étant cette belle histoire d’amitié, ou précisément dans la rencontre de ces deux caractères, Max et Lenny est la mise en scène d’une libération de soi, de l’extériorisation d’une parole brute et vitale. Ce sont les mots de Lenny : enragés, vindicatifs mais aussi et simplement poétiques – contre la majorité du rap français mis en valeur de nos jours.
Orpheline et fille-mère, Lenny est séparée de sa fille depuis deux ans. Dépendante de son grand-frère, elle cherche précisément à s’en libérer au début du film, en volant à un groupe de dealers rivaux un kilo de cannabis. Max quant à elle est une jeune lycéenne sans-papier dont la mère a été seule expulsée vers le Congo. Elle en joue donc le rôle auprès de ses frères et de sa grand-mère. Les deux ados se lancent dans leur aventure, qu’on vit à hauteur de leurs rêves pendant un moment – des rêves guidés par un même désir d’indépendance : elles croient ensemble, et seules, détenir les clés de leur salut. Le réalisateur, qui dit avoir été inspiré en partie par ses filles, adolescentes au moment de l’écriture, insuffle particulièrement bien à son histoire l’énergie inconsciente, quoique sensée, de la jeunesse.
After Laughter
Pendant un temps, Max et Lenny avance à cœur joie sur l’illusion de cette prise de pouvoir, pourtant vite rattrapée par vigiles, flics et assistants sociaux. Mais l’énergie brute de Lenny est passée, a donné au film un tempo précipité : à l’image de son ouverture, accélérée (course et succession rapide de plans dans les premières séquences) et offre en écho le phrasé de Lenny. Le personnage, affublé du même sweat rouge que le gamin de Fièvres qui parsemait il y a quelques mois sa rage sur les murs d’une cité, convoque le souvenir de tous ses autres frères de cinéma : 8 Mile, Vandal, Fish Tank – soit un jeune livré à lui-même entre des murs de bétons. Une tendance dont, à l’inverse, se distinguait récemment le romanesque de Bande de filles – Max et Lenny en est l’envers franc et direct.
Si chacune des jeunes actrices est marquante, c’est Camélia Pand’Or (castée via une de ses vidéos postées en ligne), qui porte par la force de ses mots l’énergie vitale du film, celle d’une touchante amitié seule capable de faire sortir de ce personnage-forteresse la douceur indispensable à la vie. Max et Lenny est l’histoire de ce voyage. Avec le grand air de Marseille, le film est une aventure urbaine, hors des codes (on passe des HLM aux criques paradisiaques, ce qui rappelle aussi Les Apaches), au terme de laquelle la jeune femme réussit enfin à donner un peu d’amour à sa fille. Dans un bosquet, elle lui fait écouter sa musique, cachée enfin des assistants sociaux. Avec nous peut-être, ils attendaient autre chose de Lenny, et Fred Nicolas s’en joue dans deux habiles retournements, à la fin du film, qui consacrent les changements de la vie de Lenny. Elle finit par poser sa voix et ses mots devant une foule. Le film est surtout cette histoire d’une affirmation de soi, et revendique par là l’impératif d’extériorisation, de canalisation et de transformation de cette rage. Une parole authentique, à laquelle le réalisateur donne le champ libre.