Alors que récemment des films comme Speed Racer ou Course à la mort montraient que pour se renouveler un peu, les séries B américaines faisaient bien de s’inspirer implicitement des concepts des jeux vidéo, Max Payne creuse la consternation que les adaptations officielles provoquent à chaque fois. Tomb Raider, Resident Evil, Alien versus Predator, on ne compte plus le nombre de ces films qui nient la culture dont ils sont issus mais qui pourraient pourtant être leur plus grand atout.
De Tron à Starship Troopers, du Jeu de la mort au dernier Indiana Jones, ça fait déjà un petit moment que le cinéma et les jeux vidéo ont entamé un dialogue où les idées de l’un deviennent les enjeux de l’autre, et vice versa. Assez curieusement, et de façon franchement navrante, ces échanges n’ont jamais lieu dans les films directement inspirés des franchises vidéo-ludiques. Au contraire même, leur formatage est inlassablement le même depuis qu’on a commencé à les produire au début des années 1990, totalement hermétique aux évolutions visuelles et thématiques qu’implique ce partage d’influences. Systématiquement, on reprend les personnages, on reproduit leur univers pour en décorer le film et un réalisateur impersonnel secoue le tout dans une tambouille scénaristique plus ou moins digeste. Le résultat peut avoir un sympathique parfum de kitsch désuet, comme Street Fighter (1994) de Steven De Souza, mais ça reste quand même bien léger. Bien entendu, plus les jeux vidéo évoluent, plus les films qui en sont issus, enfermés dans leur autisme esthétique, deviennent lamentables, creusant un écart considérable entre le caractère innovant du gameplay et les réalisations rétrogrades. Max Payne le film semble n’exister que pour confirmer cette triste règle.
Le jeu, sorti en début de siècle, dans son concept même, sans être révolutionnaire, synthétisait parfaitement cette partie de ping-pong avec le cinéma. En pleine intrigue de roman noir, dans un New York délabré et glauque, nous y incarnions un flic désabusé à la recherche du meurtrier de sa femme et de son enfant. Hanté par le souvenir de leur mort, il plongeait dans un abîme de violence. Pour nous retranscrire cette atmosphère poisseuse où se mélange douleur et adrénaline, les programmateurs avaient conçu une interface d’une efficacité absolue directement issue des scènes de fusillade des films de John Woo comme À toute épreuve (1992) mais aussi des fameux bullet times de Matrix (1999) des frères Wachowski. Le joueur était ainsi en mesure de revivre à loisir dans les scènes d’actions mythiques du cinéma des années 1990, qui conféraient au jeu une dimension temporelle et spatiale inédite. Les mises en scène de cinéma devenaient le centre d’interaction du jeu.
L’idée de faire de Max Payne un héros de film n’apparaît dès lors pas comme complètement saugrenue. Sous quelle forme César allait-il récupérer les codes cinématographiques que le jeu vidéo lui avait empruntés ? Question intéressante à laquelle John Moore, le réalisateur (qualificatif bien généreux) de Max Payne, s’efforce de ne jamais répondre. Pas vraiment intéressé par la réponse, ni par le jeu vidéo (auquel il n’a manifestement jamais joué) et encore moins par le cinéma, au jeu d’action féroce et enragé, déconseillé aux moins de seize ans, il répond par un petit thriller sage et moribond aux digressions visuelles léchées et pédantes, dont les rares scènes d’actions témoignent d’une incapacité notoire à gérer temps et espace – justement. Non content de ne pas respecter le centre d’intérêt du jeu, il le troque contre une intrigue au rabais qui accumule les invraisemblances (ce qui en soi n’est pas si grave) sans en avoir vraiment conscience (ce qui l’est déjà plus). En gros, ceux qui ont pondu ce film (Mark Wahlberg compris) semblent s’en soucier comme de leur première chaussette.
Il n’a pas fière allure, le cynisme du cinéma hollywoodien, qui a cessé d’inventer des formes depuis belle lurette, quand il est face à l’essor du jeu vidéo qui, lui en plein âge d’or, n’a jamais été aussi inventif. Il n’est jamais aussi sinistre que quand il méprise la culture dont il est censé s’inspirer – mais dont il ignore tout – et les spectateurs qu’il tente d’asservir à sa médiocrité. Et quand on lit dans l’insupportable dossier de presse cette citation de John Moore : « Ce film n’est pas une version édulcorée ou éloignée de l’univers de Max Payne : nous sommes au cœur de ce qu’est Max Payne », on se dit que ce n’est pas les jeux vidéo qui stimulent nos pulsions violentes, mais la crétinerie pure.