On a eu le malheur de croire un peu trop en ses comédies, à imaginer un instant que Gilou pouvait conduire une histoire. Michou d’Auber a une qualité, celle de briller par sa grossièreté : histoire sans finesse, personnages caricaturaux, absence totale de mise en scène, morale assénée avec une absence de pudeur qui confine à l’insoutenable. Cœur troqué contre une bonne dose de sensiblerie : c’est plus facile à peser, et hélas, ça fait souvent plus de sous. La présence de Depardieu n’étonne plus…
Comment éviter — seulement éviter ! — c’est-à-dire, essayer de ne pas voir cette affiche qui depuis quelques jours s’impose à notre regard à chaque coin de rue ? Et cette phrase : « d’ici ou d’ailleurs, on est tous égaux » : morale tapageuse, gentil petit refrain, bons sentiments de rigueur ; tout est dit sur la pauvreté dramatique absolument navrante du dernier film de Thomas Gilou. Rien ne nous sera épargné, pas même la longueur du film : 2h04 de calvaire. EuropaCorp (la « villa de production » de Luc Besson) et TF1 sont bons amis. Ensemble ils ont décidé de faire un film. Ils sont séduits par la note d’intention de Thomas Gilou. Des rumeurs insidieuses et perverses transpirent des murs de TF1 ; des bruits courent, bourdonnent, circulent : ça y est, le mot d’« auteur » est prononcé… Trop tard, la machine est en route : Gilou parle de Pialat, emploie le mot tragi-comique, évoque Le Vieil Homme et l’enfant. On parle de succès populaire, on envisage des recettes. Ils mettent de l’argent. Ils engagent Nathalie Baye. Ils engagent Gérard Depardieu (une tocade en attendant Astérix). Ils cherchent un petit garçon maghrébin. Ils les mettent dans un décor. Ils se racontent que ça parle des durs rapports de différences entre les gens ; ils emploient quelques mots clés qui résonnent bien fort : « humanisme », « tolérance », « universelle »… Ils secouent : ça fait « gling gling » à cause de l’argent (« il est l’or mon señor »), ça donne Michou d’Auber, mais ça n’empêche pas Louis de Funès de roupiller.
Scénario 2. Années 1960 : Messaoud, petit garçon maghrébin d’une dizaine d’année est placé dans une famille d’accueil au fin fond du Berry le temps que les « événements algériens » se dissipent un peu. Il est pris en charge par un couple sans enfant : Gisèle et Georges, la douce et le bourru. Le film ne résiste pas deux minutes à la grossièreté des typifications. Gisèle, femme de la campagne, sincère, maternelle, excellente cuisinière. Georges, ancien soldat, brut de décoffrage au grand cœur, prompt à boire des canons avec les copains. Michou d’Auber est un film de citadin qui s’embourbe dans son pittoresque rustico — tout y est, le voyage touristique est assuré : jardinet, cochon de basse-cour (bien rose cependant, ce n’est pas celui d’Eustache…), jolie maison de village, bonne tarte de « la Gisèle »… L’image trop soignée de Robert Alazraki donne à l’ensemble une texture lisse, sans relief. France de carte postale. Chez Gilou, tout est bien joli.
Mais ça serait manquer d’honnêteté que d’occulter les points noirs du film : pour que la morale soit assénée, il faut bien qu’il y ait quelques tracasseries à surmonter. « C’est l’histoire universelle de parents et d’enfants qui s’ouvrent à la différence » dixit Gilou. Il va donc falloir progresser ensemble. Se prendre par la main. S’accepter pour mieux accepter l’autre. Rebondissements dramatiques surfaits s’enchaînent, on craint un instant que la cellule familiale n’éclate. On finit par tous se pardonner. Michou d’Auber, c’est ce que le cinéma français fait de pire : démago, sirupeux de sensiblerie, plein de bonnes intentions et sûr de ses prétentions, soupe à l’oignon gratinée aux relents de navet. Il ne manque que Jugnot au tableau. « D’ici ou d’ailleurs, on est tous égaux » : et les films, eux ?