Le début des Seventies a vu éclore le phénomène des films de minuit, comme un syndrome de la contre-culture américaine. Le documentaire de Stuart Samuels se focalise sur six d’entre eux : soit un western mexicain sanguinolent, El Topo de Jodorowsky ; le film d’horreur anthologique Night of the Living Dead de Romero ; un petit bijou de mauvais goût de John Waters, Pink Flamingos ; le tout premier film jamaïcain The Harder They Come (Perry Henzell); la comédie musicale déjantée The Rocky Horror Picture Show ; enfin, l’œuvre inaugurale de David Lynch, Eraserhead. Ces six films qui n’ont rien à voir entre eux ont tous été distribués, exceptionnellement, à la séance de minuit. Par le bouche à oreille, ils ont connu un succès inattendu, jusqu’à devenir, chacun à leur manière, cultes. Midnight Movies, carré quoiqu’un peu trop rythmé, tente de faire revivre un peu de cette époque révolue.
Midnight Movies s’inscrit dans la lignée de plusieurs récents documentaires américains sur le cinéma des années soixante-dix : Inside Deep Throat, retraçant le destin d’un film porno devenu emblématique de la libération des mœurs, ou The Kid Stays in the Picture, autoportrait de Robert Evans, le fameux producteur de Chinatown, Rosemary’s Baby ou Le Parrain. Ces trois documentaires fonctionnent sur le même principe d’accumulation des documents : extraits et musiques de films, articles, photos, affiches. Il s’agit de faire revivre toute une époque. En général, ces documents se greffent sur une voix off, celle d’un narrateur (Robert Evans) ou de personnalités interviewées (Deep Throat). Midnight Movies, adaptation du livre éponyme de Stuart Samuels, opte pour la seconde solution, et s’offre un casting impressionnant – personne ne manque à l’appel. Le tout, ultra-monté, ultra-rythmé, défile à toute allure. La réalisation multiplie les affichages et les incrustations en fond des interviews. Souvent, on est proche d’une présentation PowerPoint avec effets visuels et sonores incessants. Quant aux commentaires des réalisateurs et distributeurs, ils sont découpés, parfois à l’extrême sous forme de quasi-slogans. Ceux qui connaissent la série Hollywood Stories reconnaîtront le genre du documentaire hagiographique sur le milieu du cinéma américain, mais le rythme est ici inversé : là où Hollywood Stories ronronne une petite heure autour de trois photos en noir et blanc et berce de son langoureux gimmick, Midnight Movies pulse et multiplie la documentation. Au bout d’une heure vingt-cinq de film, on ressort de la salle un peu crispé.
Malgré son aspect formaté, Midnight Movies est intéressant à plus d’un titre. On trouve un grand plaisir à découvrir ou revoir certaines images ou scènes cultes de ces films de minuit : au hasard, le massacre final des zombies par les flics, en fausses images d’actu, dans Night of the Living Dead, ou les apparitions de Divine dans Pink Flamingos – en particulier la scène où elle mange de la merde de caniche, summum inégalé de mauvais goût (dont se targue d’ailleurs John Waters). La séquence complètement délirante de la piscine dans The Rocky Horror Picture Show est à voir au moins une fois dans sa vie, et on trouve dans les quelques extraits d’Eraserhead les prémisses du travail ultérieur de Lynch sur le motif et le son. Midnight Movies, donne une irrésistible envie de voir les films qu’il évoque, c’est là son grand mérite.
Reste la judicieuse réflexion du documentaire sur la notion de « film culte ». Le documentaire démontre clairement que la renommée de ces films de minuit a moins dépendu de l’audace, de la folie des réalisateurs et des distributeurs que de la rencontre entre un public et une époque. Ce sont les hippies, anti-Nixon, anti-Viêt-Nam et anti-establishment, qui ont fait des ces films réalisés à la marge du système hollywoodien des rendez-vous de la contre-culture américaine. Ce sont eux qui ont valorisé le mauvais goût, la stylisation de la violence, le sarcasme, la levée des tabous sur le sexe et la drogue. Ce sont eux qui ont vu, figuré dans le meurtre du héros noir de Night of the Living Dead, l’assassinat de Martin Luther King, ou dans le massacre des zombies les exactions de l’armée américaine au Viêt-Nam. Ce sont eux qui ont sauvé le tout premier film jamaïcain de l’obscurité. Ils allaient voir et revoir, parfois des centaines de fois, ces films qui leur appartiennent plus qu’à quiconque. L’appropriation du Rocky Horror Picture Show, bide commercial retentissant, par le public des séances de minuit, en est l’exemple le plus frappant : la salle rajoute des répliques, se déguise comme les personnages, amène des accessoires, lance du riz en l’air lors d’une scène de mariage. Les séances de minuit prennent alors l’allure de rites nocturnes, libertaires, où une génération vient communier dans les nuages de haschich. Certes, la fascination du documentaire pour le phénomène semble par trop excessive, sinon nostalgique. Tout de même, on se pose quelques questions… Les thématiques des films de minuit ont été récupérées quelques années plus tard par le cinéma grand public, d’où le sous-titre de Midnight Movies : From the Margin to the Mainstream. Mais où trouver un tel public aujourd’hui ? Où sont les séances de minuit ? On dira que la question est mal posée, mais la réponse, elle est claire : pas ou plus au cinéma.
PS : Notez que le Studio Galande, dans le Quartier Latin, diffuse chaque vendredi et samedi depuis des années le Rocky Horror Picture Show. C’est à 22h15 (dommage!), et c’est incontournable.