Le second long métrage du réalisateur espagnol Oliver Laxe, son premier film de fiction, creuse un sillon rare dans le cinéma contemporain, celui du film sacré, conduit par une religiosité formelle assez stimulante. Célébré à Cannes lors de la Semaine de la Critique, Mimosas se présente au premier abord comme un simple film d’aventure dans l’Atlas marocain. Un vieux cheikh dirige sa caravane droit à travers les montagnes pour retrouver la ville de ses ancêtres et y mourir. Mais le vieil homme ne survit pas aux premières marches du relief, et la caravane perd son guide. Saïd et Ahmed, deux picaros locaux, sont employés pour conduire le corps à bon port ; Shakib, l’idiot du village, est désigné pour les accompagner et veiller sur eux. De là commence un long périple dans la montagne, entre élan et désespoir, contre la distance, le relief et ses pièges, et l’égarement physique et mental. Ce trajet ne manque pas de confronter les personnages à leurs doutes, à un certain aveuglement, ou en la croyance d’avoir (re)trouvé le bon chemin. Si la problématique très littérale du film, trouver sa route dans la montagne, prend une évidente signification métaphysique, elle confère aussi au film une opacité formelle salvatrice.
Éprouver l’Atlas
La première des qualités du film est de parvenir à incarner le voyage dans un espace physique propre. Si le Haut-Atlas est occasionnellement filmé dans sa majestuosité, le film se refuse à céder à la tentation de l’odyssée paysagère. La montagne est saisie à hauteur d’homme, dans l’épreuve qu’elle constitue : le son des pierres sous les pas des marcheurs, celui du vent et des cours d’eau traversés, et la lenteur de la progression viennent rendre concret un espace rugueux et difficile à parcourir. Le film, comme les personnages, n’est pas intéressé par une contemplation romantique de l’espace dans sa grandeur – c’est en effet, pour les trois aventuriers, un espace quasi quotidien plus qu’un lieu d’expérience du sublime. L’aventure que raconte le film est rendue plus forte par cette physicalité du lieu, tandis que l’immanence des épreuves rencontrées nourrit le désespoir et le besoin de transcendance des personnages. Dans le même temps, la superbe photographie (en 16mm) renvoie le film à des imaginaires américains (on pense à John McCabe d’Altman pour le grain de son image, ou encore à Jeremiah Johnson de Pollack pour la lumière sur ses espaces enneigés) et contribue à universaliser l’histoire en la mettant sur le même plan qu’un western classique – mais tourné vers l’est.
Cinéma du sacré
Dès lors, l’épreuve mystique que rencontrent les personnages est davantage à chercher dans le trajet même et le sens qu’il y a à le mener à bien, que dans la révélation par l’immensité et la splendeur de l’espace d’une quelconque transcendance divine. Le vecteur de cette recherche est Shakib, un personnage simple, vif et fou, qui encourage le duo de caravaniers à persévérer, malgré des signes évidents d’égarement. Ses phrases pleines de paradoxes ou chaotiques invitent au scepticisme tout en ouvrant vers une logique d’appréhension du monde alternative que ses auditeurs sont tentés d’accepter. Ce personnage, impeccablement interprété, sauve le film d’un mysticisme pauvre et didactique en se posant en incarnation acceptable et logique du doute.
Mimosas orchestre, notamment par une composition étrange (en intégrant, comme dans un film parallèle, des plans très documentaires en milieu urbain chez les chauffeurs de taxi) et un dénouement brutal et saccadé, une certaine opacité. Celle-ci, symptôme de la sacralité à laquelle sont confrontés les personnages, est aussi le gage d’une poésie proprement cinématographique. La grammaire scriptée du film sert ainsi à la fois sa démarche religieuse et artistique, la croyance dans le mystère de son récit accompagnant un type de mise en scène, trop rare dans le cinéma contemporain, qui sait préserver une part d’ombre.