« Et maintenant, on tire sur qui ? » écrivait Steinbeck face au capitalisme sans visage qui assaillait les Joad dans Les Raisins de la colère (1939). Près de 80 ans plus tard, c’est face à l’État conservateur et libéral que se heurtent les héros de Ken Loach, et à la bureaucratie sans visage et privatisée qui dirige les administrations britanniques.
Le nouveau film de Loach est, comme celui d’Almodóvar ou des Dardenne cette année, bien mené mais sans surprise. Scénarisé une fois de plus par Paul Laverty, le film suit le parcours du combattant kafkaïen d’un travailleur qui, forcé à l’arrêt pour problèmes cardiaques, peine à faire valoir ses droits à la fois aux indemnités maladies et au chômage. Le film sociopolitique crée une tension autour du sentiment d’injustice et de captivité des personnages, et donne l’occasion de tisser une relation d’amitié inédite entre Blake et une jeune londonienne fraîchement débarquée avec ses gosses dans un logement social de Newcastle. Si le discours social est encore une fois un peu didactique, il sert une ligne dramatique claire qui se nourrit beaucoup de la camaraderie bienveillante à l’égard de sa famille de fortune.
Cauchemar aux ASSEDIC
La triangulaire proposée par Ken Loach (comment justifier à Pôle Emploi une recherche active de travail tout en cherchant à faire reconnaître l’arrêt maladie) donne lieu à un suspens de fait qui s’articule sur un fond de revendications politiques anti-conservatrices,de dénonciation des insuffisances de l’État et de la privatisation de ses services. La scène d’ouverture, un dialogue sur écran noir entre Blake et la consultante médicale (ni médecin ni infirmière), met en évidence le caractère banalisé et normatif du traitement administratif des dossiers sans le personnifier. Les incohérences du traitement de son dossier donnent lieu à quelques rires jaunes et sueurs froides, notamment lorsque le verdict de son appel est suspendu à une capacité de remplissage d’un dossier en ligne très normé.
Cri politique
Comme dans La Loi du marché l’an dernier, le film est l’occasion d’une petite explication de texte de la relation chômeur-administration, avec notamment une séance de coaching en écriture CV au nom de la compétitivité du profil. Le mur procédural face auquel se heurte Blake, la répétition éternelle des mêmes formules et le système d’exclusion extrêmement efficace mis en place par l’administration justifient le cri désespéré de Blake, sous la forme d’un tag au mur demandant à son dossier d’être examiné, et sans doute aussi le cri de Loach et son entêtement à répéter à l’envi la même histoire avec des mots différents, comme un hoquet désespéré.