Un an avant les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune le 20 juillet 1969, Stanley Kubrick réalisait 2001, l’Odyssée de l’espace, avec l’appui et les conseils d’experts de la NASA. Une rumeur se répand rapidement après la diffusion télévisée des images de l’alunissage : celles-ci auraient été tournées en studio par Kubrick afin de couvrir l’éventuel échec d’Apollo 11. Les aficionados du « complot » en veulent pour preuve l’anormal flottement du drapeau américain sur la Lune, ou encore la présence d’ombres à l’image laissant imaginer une pluralité de sources lumineuses comme sur un plateau de tournage. En 2011, le documentaire Kubrick’s Odyssey de Jay Weidner ajoute sa pierre à l’édifice en affirmant que les vidéos lunaires auraient été filmées au moyen d’une technique spécifique (celle de la projection frontale) utilisée dans les plans les plus spectaculaires de 2001. Même Shining, selon le même film, serait une longue métaphore cryptique racontant le travail de Kubrick pour la NASA. Un an plus tard, Room 237 de Rodney Ascher, qui propose justement une lecture plurielle et symbolique de Shining, partit de la même idée.
Moonwalkers, premier long-métrage d’Antoine Bardou-Jacquet, se moque de cette vieille théorie du complot au moyen d’une intrigue gentiment absurde et potache de « stoner movie » (c’est-à-dire une comédie centrée sur un duo de personnages fumeurs d’herbe) : Kubrick n’aurait en fait jamais rencontré la CIA, car son agent Tom Kidman (Ron Perlman) se serait trompé de personne et aurait engagé à la place du cinéaste deux hippies désargentés – Jonny (Rupert Grint), un producteur raté de rock psychédélique, et son colocataire toxicomane Leon (Robert Sheehan).
Un décollage manqué
Hélas, le délire ne prend pas. Si la comédie repose sur un décalage très classique entre un personnage strict et rationnel (Tom) et un duo de losers maladroits et junkies (Jonny et Leon), le film n’exploite pas vraiment le potentiel comique de cette rencontre – même la scène de suspense potentiellement hilarante où Leon se fait passer pour Kubrick est escamotée hors champ. Le burlesque se réduit alors vite à un humour essentiellement sexuel et scatologique, « en dessous de la ceinture » au sens littéral du terme : pendant le tournage du faux alunissage, un acteur glissera effectivement la caméra sous le costume d’un de ses camarades.
Une vision étriquée des sixties
Mais la vulgarité n’est pas vraiment là. Elle tient surtout à la représentation superficielle et prosaïque du « Swinging London ». Le film ne parvient pas à décoller d’une reconstitution kitch et caricaturale de la fin des sixties qui n’en retient que les costumes, les décors psychédéliques, et les soirées orgiaques où se répandent à grands flots l’alcool, à la drogue et les corps nus. Pour montrer la libération sexuelle, le film répète plusieurs la fois, de manière assez désolante et grossière, la même blague réactionnaire : « attention, à Londres, il n’y a que des homos. »
La deuxième partie du film qui se déroule dans la maison de Renatus (le réalisateur choisi pour remplacer Kubrick) est un hommage louable à la « Factory » d’Andy Warhol qui abritait des artistes underground à tous les étages – on y reconnaît par exemple la pratique de l’anthropométrie d’Yves Klein, où l’on roulait des corps nus et peints sur la toile pour en imprimer l’empreinte. Mais cette représentation des artistes de la fin des années soixante reste « au ras du sol » : le suppléant de Stanley est un double ventripotent et libidineux de l’artiste phare du pop-art dont le film ne retient, comme par hasard, que la désinvolture et le mépris affiché pour l’art : « ce n’est qu’un film », s’exclame Renatus juste au moment du tournage. Du cinéma expérimental, de sa rupture avec les mécanismes de la narration et les attentes du spectateur, il ne reste qu’un trop bref moment d’enthousiasme chez le cinéaste pour « la simplicité » radicale d’un film sur l’alunissage. On ne trouvera pas non plus de référence à Stanley Kubrick, sauf quelques très maigres clins d’œil à Orange mécanique et Shining, et une blague blasphématoire du même goût que le reste : « Lolita, ce pédofilm »…
Adieu le psychédélisme
Quant aux scènes hallucinatoires requises par le genre du stoner movie, elles tombent aussi à plat, faute de psychédélisme. Elles ont beau être nombreuses – même Tom Kidman souffre de visions cauchemardesques dues à son expérience traumatique de la guerre au Vietnam – on est bien loin des délires exubérants de Las Vegas Parano de Terry Gilliam ou des plongées enivrantes au sein des « trips » oniriques de « Doc » Sportello dans Inherent Vice de Paul Thomas Anderson. La mise en scène de Moonwalkers fait clairement le choix de l’apparat et du décorum, privilégiant les travellings de la caméra parmi des costumes et des décors surchargés, plutôt que de chercher à restituer le vertige tout intérieur de ses personnages. Seule une brève rêverie de Tom Kidman plonge avec grâce la femme qu’il désire dans une spirale de lumières colorées.
L’histoire d’un acteur
Le film est néanmoins un bel hommage à l’acteur Ron Perlman et à ses rôles de brute au cœur d’or dans Le Nom de la rose, La Cité des enfants perdus, et Hellboy. Le personnage de Kidman exploite parfaitement l’ambivalence de l’acteur entre puissance et fragilité, dureté et tendresse pour en faire le moteur d’un décalage comique efficace : tout d’abord action man strict et brutal, le gigantesque dur-à-cuire finit par se laisser vivre en chemise à fleurs et fumer des pétards auprès de sa belle. L’évolution du personnage fonctionne alors comme une émouvante mise en abyme de la carrière de l’acteur vieillissant, contraint d’abandonner le cinéma d’action pour l’horizon plus tendre de la comédie.