Après visionnage du film et un bon moment d’hébétement et de questionnement existentiel (« mais pourquoi donc ai-je choisi délibérément, consciemment, sous l’effet d’aucune drogue, d’écrire sur ce film ? quelles sont les conséquences psychiatriques d’un tel acte ? »), trois options s’ouvraient à nous : 1/s’excuser auprès de notre bien-aimée rédaction en chef et prétendre être atteint d’une maladie tropicale grave et méconnue ; 2/recopier sans vergogne le dossier de presse (« Mords-moi sans hésitation est une parodie mordante et saignante de tous les films pour ados que l’on a pu voir sur les écrans ces dernières années ») et perdre du même coup la petite once de crédibilité durement gagnée au cours de ces années ; 3/parler du réchauffement climatique, du mariage d’Eva Longoria et de Tony Parker, du dernier match de la Ligue des champions, en se disant que quitte à écrire sur n’importe quoi, autant être lu par plus de dix personnes… Mords-moi sans hésitation, attaquant santé mentale comme motivation professionnelle, est la preuve définitive que la critique de cinéma est aussi un métier à risque.
Plus encore que pour n’importe quelle créature monstrueuse et imaginaire, l’univers des vampires, en littérature comme au cinéma, de Dracula à True Blood, en passant par Buffy the Vampire Slayer (série télévisée moins idiote qu’on voudrait le faire croire), s’est construit comme une réflexion sur le statut de l’Autre dans une société hyper-normée, et a souvent permis d’aborder des sujets tabous à travers des codes connus de tous et immédiatement identifiables. Stephenie Meyer, auteur de la lamentable trilogie Twilight, s’est chargée de remettre cet univers au goût du jour, en jetant les codes aux orties, dans un style littéraire à faire rougir de honte J.K. Rowling et à travers un univers réactionnaire typiquement Amérique profonde dont nous pensions être débarrassés pour un temps avec le départ de Bush Junior. Que nenni, Twilight, immense succès dans les librairies, s’est répandu comme la peste à Hollywood ; en moins de deux ans, les trois premiers tomes ont été adaptés, et en attendant le quatrième, les fans éplorés pourront se consoler avec cette parodie attendue… Mais est-ce bien la peine ?
Jason Friedberg et Aaron Seltzer ne sont pas des inconnus sur la scène satirique hollywoodienne : déjà auteurs de la série en quatre volets des Scary Movie (pas complètement honteux), surfant sur l’immense succès de Scream et s’inspirant de tous les blockbusters américains de cette dernière décennie, ils avaient récemment commis le bien-nommé Spartatouille (Meet the Spartans en VO), parodie rien moins que déjantée de 300. Avec Mords-moi sans hésitation, la source semble complètement tarie. Voici venus les mêmes gags téléphonés : apparition d’un ersatz de Lady Gaga et clin d’œil gentiment (mais alors très gentiment) moqueur vis-à-vis de Taylor Swift ; gang de vampires aux airs des Black Eyed Peas ; insertion totalement hors de propos d’un dialogue de Gossip Girl et d’une scène de Sex & the City ; et pléthore de références assez obscures et sans intérêt pour un public français (sans doute tirés de la télé-réalité américaine type American Idol).
Comme souvent dans la « nouvelle » comédie américaine tant vantée (et dont celle-ci est finalement sans le vouloir la parodie bas de plafond), les sketchs ne sont ni mordants (et pourtant, il y avait de quoi faire!), ni profonds, n’allant pas plus loin qu’un humour pipi/caca/gore pour cour de récré ou vidéos familiales sur YouTube. Il ne faudra que quelques années au film pour être totalement daté et incompréhensible aux ados (public visé) de demain. Le problème ici est qu’il n’était pas très malin de s’attaquer à Twilight, un film dont la survie dépendait déjà, étant donné le niveau de l’œuvre originale, de sa capacité à s’autoparodier – il suffit de s’être rendu dans une salle projetant le film pour constater que même les fans étaient sensibles au ridicule de certaines scènes.
Petite trouvaille du film tout de même (parce qu’il faut bien qu’il y en ait une): la jeune actrice Jenn Proske, incroyable sosie de Kristen Stewart, reproduit à la perfection le jeu affligeant je-passe-mon-temps-à-mettre-mes-mains-dans-mes-cheveux de la comédienne originale. Sérieux, qui se fiche de savoir si Bella/Becca, l’héroïne la plus fadasse de toute l’histoire de la culture mondiale, choisira plutôt son amant vampire blanc comme un linge ou les abdos de son meilleur ami loup-garou ? Attention spoiler : dans Mords-moi sans hésitation, le choix est fait pour elle par le fan-club du loup-garou, qui réalise notre fantasme absolu : éclater la tête du vampire à coups de hache. Voilà, plus besoin de se déplacer ; Vampires Suck (« les vampires c’est de la merde ») dit le titre en VO : peut-être, mais ce film-là, c’est vraiment, vraiment, vraiment de la merde.