Un film de Ribes produit par la Warner ? Avec une telle panoplie de stars, il est certain que la production doit suivre… et la presse certainement, dans la mesure où la moitié du monde journalistique est réunie dans cet objet totalement a‑cinématographique. On a rarement vu une démonstration de copinage si intense, pour un film qui s’épanche aussi fadement, aussi vainement sur la question esthétique au travers d’un prisme qui n’est jamais convaincant : celui d’une représentation du public des musées aussi faussement fantaisiste, aussi caricaturale qu’inintéressante et pathétique. On a rarement vu, en bref, un film intégrer à ce point la bêtise qu’il est censé montrer.
Un mot, un seul, sort, dur, mais épidermique : affligeant. Il est très à la mode aujourd’hui d’user et d’abuser des clichés sociaux pour mimer la satire et faire mouche. L’exercice du détournement n’est pas chose aisée, d’autant plus lorsque l’on choisit le burlesque pour mettre à mal ces méchants topoï… Yasmina Reza avait déjà fait de son Art une réflexion sur la limite parfois ténue entre la création et le vide, mais s’était bien gardée, contrairement à M. Ribes, de mélanger réflexion esthétique, réflexion sociale, réflexion sur l’aménagement du territoire, critique des ministres de la culture, critique du snobisme parisien, on en passe et des meilleurs. Le tableau blanc de Reza qui suscitait passion et perplexité s’est mué en exposition de photographies de pénis au détour desquelles on se demande si « c’est vraiment de l’art », on s’esclaffe que « tout cela est magnifique » avec un air pincé, une chemise rose à pois et une coupe de Dom Pérignon à la main… outre le fait qu’aucune réflexion n’est en fait bâtie, ces clichés-là ont la dent dure, sans jamais être remis en cause. Pièce à succès de l’année 2005, Musée haut musée bas apparaît aujourd’hui sur des écrans de cinéma tout en restant dans une ligne très théâtrale, sans mise en scène ni cadrage – Critikat est certainement très snob de penser qu’un film est une image animée, par quoi ? ce n’est pas devant une telle débauche d’inactivité visuelle qu’on le saura –, et sans aucune idée nouvelle pour une adaptation au cinéma, si ce n’est de casting, vis-à-vis de la pièce de son auteur-réalisateur. Légitimement, nous aurions pu attendre de la part du directeur du Rond-Point une attention particulière aux dialogues : que nenni, à force de montrer du cliché, ce film en devient un bien plus intense, et, osons le terme, bien plus bête.
De quoi s’agit-il donc ? Ribes tenterait-il de raconter l’histoire d’un musée, de ceux qui s’y attardent, qui s’y perdent, qui s’y ennuient ou s’y réfugient ? Point du tout. Qui s’y plaisent ? Encore moins, personne ne regardant jamais un seul tableau dans ce film où l’art n’est que discours et sempiternelles critiques de la débilité profonde du Parisien et du Provincial moyen ; il en faut pour tout le monde, sinon c’est manichéen vous comprenez. Ribes a donc écrit une suite de petites saynètes dont aucune n’est aboutie, saynètes assez nombreuses pour pouvoir caser tous ses petits poteaux – eux aussi nombreux – du fantastique monde de la production, de la comédie et de la presse. André Dussollier est donc affublé d’une veste mao rose pour singer Jack Lang, car il est connu que l’intérêt d’un musée ou d’une critique esthétique ne peut se faire sans lui ! Lescure se mélange à Arditi, Luchini, Abril, Blanc, Lemercier, Besnehard y côtoie Jugnot, Demaison, Balasko, Morel, Marini, Pinon ; bref, le cinéma populaire se mélange au théâtre du Rond-Point, et il est magnifique de constater qu’effectivement la bêtise rend son égalité fondamentale aux hommes. Le burlesque ? Un guide désespéré qui répète le nom de Paul Gauguin massacré par des Américaines, un Daniel Prévost qui a perdu sa voiture dans un parking entre l’étage Rembrandt et l’étage Velasquez et la cherche pendant deux heures, une prof exaspérée par des enfants qui hurlent dans les musées… bref, de l’anodin, du sans saveur, du surjoué par les (bons) acteurs qui tentent coûte que coûte de rendre leur présence utile. Que l’on s’entende : il n’y a donc ni dialogues – que des répétitions d’ersatz de tentatives de boutades –, ni mise en scène, ni numéros d’acteurs engoncés dans de stupides rôles d’ébahis ou de méprisants.
Qu’en est-il du discours ? Ribes a probablement lu avant de tourner son film la page « Esthétique » de Wikipedia, et nous déroule un long tapis rouge de banalités sur le sujet : « L’art est plus vivant, plus beau que la nature» ; « Est-ce la nature qui copie l’art ou l’inverse ?»… vous avez une heure et demie pour finir votre médiocre copie d’élève de terminale qui n’aurait pas lu une ligne depuis OK Podium. Plus en verve parfois, il décrète que « l’art contemporain doit enculer la mondialisation»… quel est le sens de cette phrase aussi absconse que ridicule ? Mystère et boule de gomme. Le plus déroutant est l’image de ce fameux musée que renvoie Ribes : il y a des conservateurs fous, des badauds qui n’y connaissent pas grand-chose mais qui sont évidemment autrement plus sympas et marrants que les prétentieux cultivés de la Rive gauche qui se targuent de culture par pédantisme… et celui qui fait le film, au-dessus des clichés bien que filmant ceux-ci, au-dessus du public qu’il veut faire rire avec une parodie grotesque des spectateurs habitués. Il semble détester ses propres amis, caricaturés à outrance, et mépriser ceux qui tentent d’en faire partie. Faire un film sur l’art se résume ici à établir une liste des cadres les plus insensés, les plus faux, les plus hautains du néophyte comme du connaisseur. Comment se pencher sur un fait social, sur un problème d’inégalité culturelle sans en montrer, ne serait-ce qu’un peu, le problème ? Il est bien beau de trouver que Picasso, « c’est moche », ou qu’une rangée de bites, « c’est très innovant ». Voilà ce qu’on dit en sortant du Petit Palais avant de reprendre les calories perdues dans le musée – il ne s’agit visiblement que de cela – au fast-food du coin. Pour filmer ou parler de la bêtise… il faudrait s’appeler Flaubert ou Billy Wilder, mais certainement pas Jean-Michel Ribes.