Sorti en plein milieu des célébrations des 40 ans des événements de Mai 68, le nouveau film de Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix, Crustacés et coquillages) a de quoi susciter la curiosité. Le programme est on ne peut plus ambitieux : raconter, en près de trois heures, quarante ans de l’histoire contemporaine française par le biais de l’intime. Trois personnages, deux garçons et une fille (Yannick Renier, Yann Trégouët et Laetitia Casta), amoureux libertins emportés par leurs idéaux dans les couloirs de la Sorbonne en 1968, vont se suivre, s’aimer et se déchirer, vivre leurs utopies jusqu’au bout et regarder la société, et leurs propres enfants, aller de désillusions en désillusions.
Difficile de ne pas rapprocher cette improbable fresque d’un récent succès italien, Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana, au pitch similaire. Comme celui-ci, Nés en 68 a d’abord été conçu pour la télévision, où il sera diffusé dans son intégralité sous la forme d’un téléfilm en deux parties à la rentrée. En attendant, il faut s’armer de patience pour affronter les très longues deux heures et cinquante-trois minutes de ce ratage proprement ahurissant, d’autant plus inexplicable qu’il est commis par un duo de cinéastes dont a pu apprécier, par le passé, la fantaisie et la capacité à parler de choses graves avec légèreté, à émouvoir en allant à rebours des effets faciles que les sujets de leurs films auraient pu facilement entraîner. Tout dans Nés en 68 sonne terriblement faux : les dialogues pesants et sur-signifiants, coincés dans la bouche de personnages caricaturaux réduits à l’état de symboles, privés de chair et d’enjeux ; les situations grotesques dans lesquelles les héros sont plongés, en dépit de toute vraisemblance scénaristique ; ou la présence, dans le même plan, de plusieurs signes temporels qui font basculer le film dans le comique de répétition involontaire (exemple : deux personnages homos décident d’abandonner le PACS pour tenter l’adoption pendant que dans leur dos, une télé allumée diffuse les images du 11-Septembre). L’ensemble confère au film un aspect catalogue, sorte de collage d’images et de sons dénués de sens, malgré tous les efforts de comédiens très appliqués à réciter les phrases-slogans qui leur sont attribuées.
Dans tous leurs films, Ducastel et Martineau contournent soigneusement toute forme de réalisme pour tutoyer une poésie à la lisière de l’absurde, mi-enchantée mi-désespérée, qui faisait précisément le charme de leur œuvre la plus connue, Jeanne et le garçon formidable, hommage à Jacques Demy autant que poignant drame sur l’amour au temps du Sida. Hélas, c’est peu dire qu’ici la mayonnaise ne prend pas : aussi désincarnés que des personnages de sitcoms françaises auxquels le film fait parfois tristement penser, les héros de Nés en 68 ressemblent à des marionnettes figées. La première génération feint de croire aux utopies révolutionnaires, la seconde simule le désespoir lié à l’apparition du Sida ou l’émergence du Front National, mais rien ne vient emporter le spectateur, pas même un souffle épique légèrement mélo que l’on aurait pu redouter avant la projection mais que l’on en vient à espérer pour, enfin, ressentir quelque chose. Il n’y a guère que Laetitia Casta, actrice volontaire, qui parvienne de temps à autre à insuffler un peu de vie dans ce navrant naufrage.