Il est temps de se méfier des comédies ayant pour scénaristes Scott Neustadter et Michael H. Weber. Après (500) jours ensemble et The Spectacular Now, le tandem poursuit — et porte même à un point sinistrement culminant — une série de comédies romantiques si dominées par un désir d’originalité qu’elles en perdent leur naturel et leur pouvoir d’émotion authentique. Nos étoiles contraires, pourtant, met le paquet pour tirer nos larmes, avec leurs amants affligés par la maladie (et cela a marché : le film, adapté d’un best-seller, a fait de bons chiffres au box-office américain). Soit Hazel Grace, atteinte d’un cancer avec peu de chances de rémission et traînant perpétuellement sa bouteille d’oxygène et ses tuyaux dans le nez, et Augustus dit Gus, beau gosse spirituel sauvé d’un semblable destin par l’amputation d’une jambe. La singularité de ce film est que la plupart des personnages ont un dérivatif pour la réalité de leur situation : Hazel Grace se replie sur sa condition de victime et ses lectures ; Gus sur son érudition de geek, son humour mordant et sa positive attitude ; les parents de Hazel Grace sur le soin qu’ils apportent à leur fille ; etc. Cela pourrait être un sujet poignant, si ce n’était pas en réalité le film qui s’offre des dérivatifs à la réalité de ses personnages — le constat est imparable dès l’instant où Gus brandit son invraisemblable fétiche trop sophistiqué pour être honnête : une cigarette qu’il porte toujours mais n’allume jamais, pour (prétend-il) narguer la mort qu’il tient à distance.
S’en fout la vie
De scène en scène, Nos étoiles contraires s’évertue, à coups de dialogues ciselés à l’extrême, de tons affectés et de détours culturels, à maintenir ses personnages au-dessus du public, faisant à tout bout de champ la démonstration de la culture de ceux-ci, de leur niveau de réflexion sur la vie et finalement de leurs sentiments. De ce fait, il les instrumentalise pour la jouissance toute autocentrée des auteurs, jusque dans les quelques moments où il les ramène à la réalité, le plus souvent pour les filmer dans les situations dégradantes auxquelles la maladie les réduit. Sous le prétexte de surmonter les grosses ficelles de son genre (la comédie romantique tire-larmes à la Love Story), Nos étoiles contraires se livre à une entreprise de mystification et d’autosatisfaction des plus détestables. Sa façon de désincarner ses personnages en en faisant de purs gages de supériorité, quand ce ne sont pas des faire-valoir piteux (tels que le meilleur ami psychotique et bientôt aveugle tout juste bon à amuser la galerie), n’en est qu’un aspect. Un autre en est sa considération de la culture comme un objet purement utilitaire, pour se faire mousser en comblant ses personnages ou, à l’inverse, y trouver des défouloirs à mépris facile (le film réussit même le triste exploit de rendre insupportable Willem Dafoe en écrivain alcoolique et misanthrope). Enfin, il y a ce semblant de non-conformisme et d’écart du politiquement correct qu’il tire de tout cela, apparence facilement acquise et d’autant plus inconsistante qu’elle ne semble pas trouver d’opposition sérieuse (sauf à considérer les piques contre un groupe de soutien chrétien aux malades, cible de caricature cent fois vue ailleurs et toujours aussi pathétique, comme le summum de la transgression). Le message si séduisant « à mort la mort, embrassons la vie à pleines dents », évidé de toute sincérité, n’est plus qu’une formule publicitaire qu’on peut agiter, enluminer voire retourner selon le bon plaisir des annonceurs.
Symptômes
Comme dans les plus sinistres films américains dits « indépendants », il n’est guère étonnant que, sous ce vernis épais et puant, on détecte les réflexes hollywoodiens les plus douteux (les personnages faire-valoir en font partie). À un moment, les tourtereaux en voyage à Amsterdam visitent le musée de la Maison d’Anne Frank, où une voix off incarnant la petite Juive déportée lit des passages de son journal intime. Évidemment, la scène a un but, un gros qui tache : un des passages lus vient faire écho à la situation de Hazel Grace pour lui souffler, en substance, que quand il y a de la vie, il y a de l’espoir… Le raccourci pourra offusquer, faire crier à l’immoralité voire à l’abjection ; mais à la réflexion, il n’apparaît que comme un détail dans l’absence totale de scrupules d’une des comédies romantiques les plus prétentieuses et faux-jeton jamais produites.