Diplômé d’une école de cinéma britannique (son coscénariste, lui, vient de la Femis) et, nous dit-on, ex-champion de skate, le Norvégien Joachim Trier livre un premier long-métrage en forme d’après-film de fin d’études, moins le produit d’une nécessité de filmer qu’un gage un peu fanfaron de réussite à passer au premier long.
Erik et Phillip, amis d’enfance, férus de lettres et de musique punk, ont décidé de percer dans la littérature norvégienne. Chacun envoie son manuscrit à des éditeurs : tandis que celui d’Erik est rejeté, Phillip se voit publié et devient du jour au lendemain une figure de la scène culturelle nationale. Après une ellipse de six mois, Erik et des amis vont chercher Phillip à l’hôpital psychiatrique… Suivant cette bande de jeunes écrivains ambitieux et de musiciens remuants, Nouvelle donne esquisse une approche décomplexée de la jeunesse norvégienne d’aujourd’hui (rien de très neuf de ce côté-là : prompte à faire les idiots, mais pleine de projets) et du croisement culturel qui s’y opère, entre solennité de l’héritage des anciens et pulsions libératrices des modernes. Mais ni ce matériau socio-culturel, ni le sujet qui se dessine en filigrane au gré des histoires individuelles ne semblent vraiment intéresser Trier, dont les choix techniques et formels, dans le fond assez académiques, trahissent plus un intérêt pour ces mêmes choix comme fin en soi, comme gage de compétence technique, plutôt qu’une nécessité réelle de filmer quelque sujet que ce soit.
« Refus de prendre sur soi »
Le film s’ouvre pourtant sur une belle idée empruntée à la littérature : une voix off énonçant au conditionnel et avec un implacable souci du détail les fantasmes des deux scribouillards se projetant en futures sommités culturelles adulées mais sans compromis. Cette introduction donne un bon aperçu du sujet du film — ou du moins du thème du scénario — mais aussi, ironiquement, de sa limite. Nouvelle donne, avec son titre appelant au renouveau, peut se résumer à l’histoire de fantasmes plus ou moins assouvis : rêves de notoriété plus ou moins activement poursuivis, aspirations à la liberté grossièrement manifestées à travers la musique punk, désirs de recommencement après la crise (Phillip convalescent tente de renouer une relation amoureuse interrompue). Si le scénario est bien construit autour de ces grandes espérances, il reste cependant un autre sujet de fantasmes de maîtrise qui, lui, refuse trop prudemment de se laisser traiter : Joachim Trier. Plutôt complaisant envers ses personnages de jeunes pas toujours très fins, mais dont même le plaisir qu’il prend à exploiter les incartades est mesuré, le réalisateur montre surtout qu’il cherche moins à traiter un sujet qu’à s’en servir comme support pour en filmer la traduction visuelle. Plus désireux de filmer que de filmer quelque chose, animé d’une envie de statut artistique de toute évidence aussi grande que celle de ses écrivains en herbe, Trier eût sans doute gagné à assumer pleinement ses fantasmes à lui, ce qui eût ajouté au sujet un appendice intéressant. Ce refus de prendre sur soi explique au fond pourquoi, malgré la qualité d’écriture, la démarche du film ne convainc que modérément à l’écran.
Trier a beau faire preuve d’une maîtrise dans le découpage, d’humour dans sa peinture des personnages, sa mise en scène, dans sa sobriété étudiée comme dans ses effets, reste en toutes circonstances illustrative et scolaire. Que ce soit pour évoquer la thématique du recommencement (allers-retours dans le temps), les incertitudes des uns et des autres (musique atmosphérique, éclairage crépusculaire), l’agitation de la jeunesse (bande-son riche en rock et en punk), aucun choix ne surprend ni n’interpelle, tous relèvent d’une interprétation littérale des scènes et des états du film, vecteurs d’une qualité d’accompagnement de ce qui est filmé plutôt que d’un point de vue de cinéaste. Même les saillies visuelles que lui inspirent les portraits de jeunes restent de l’ordre du surlignement (zooms, sous-titres étiquetant les personnages). Trier reste un élève appliqué et poseur, dont même les incartades manquent d’originalité et, surtout, de spontanéité.