Dans la longue lignée des biopics musicaux, Nowhere Boy est censé nous dévoiler l’une des success stories les plus célèbres de l’histoire du rock’n’roll, celle de John Lennon. De références incessantes aux futurs Beatles en montage traumatique, le fatalisme d’une biographie filmée qui brosse les fans dans le sens du poil en perd toute substance, jusqu’à l’épuisement du peu d’intérêt que constituait déjà le projet.
Commençons par le commencement : la jeunesse de Lennon est probablement l’époque la moins intéressante de sa vie. Qu’importe. Pourquoi, après tout, ne pas faire un portrait de l’Angleterre des années 1950, une radiographie sociale qui s’immergerait dans la classe moyenne de Liverpool, et mettrait en scène le lien entre la naissance d’un des groupes les plus inventifs du siècle dernier et ses origines mi-prolétaires mi-bourgeoises ? De ce décor fécond, Sam Taylor-Wood n’a cure. À peine perçoit-on la raideur de Mimi, tante de Lennon, et le conservatisme de la génération d’avant-guerre qui verra ses enfants hurler au Cavern. La réalisatrice semble davantage obsédée par l’idée des succès à venir, celui des Beatles, et celui de son film. Chronologie plate de l’adolescence de Lennon, Nowhere Boy a évidemment trouvé son public outre-Manche, jouant sur la popularité de son sujet bien plus que sur les différents modes de récit qui lui étaient offerts. De toutes parts, le film déborde de chocs traumatiques, de séquences-clés, de références martelées au futur de Lennon : car, si les Fab’ Four ne seront jamais nommés en tant que tels, c’est bien ici la « marque Lennon » qui prédomine à toute forme d’écriture.
Ainsi le film ne fonctionne-t-il que par symboles, par rappels, se détournant de son objet ‑les vertes années d’un petit voyou fort talentueux‑, le réifiant à l’extrême : John Lennon, ce sont des lunettes rondes, une coupe rock, une Hofner, et deux couleurs : le bleu et le rouge. Tout cela pour contenter ce que les spectateurs sont venus voir : la naissance d’une idole. Le décor n’est donc jamais construit, il est livré en pâture à celui qui reconnaîtra la référence : John passe devant Strawberry Fields, on distingue le mot « walrus » sur un carnet de notes, une amante éconduite lui lance « You’re a loser »… bref, pourquoi évoquer le contexte d’éclosion des Beatles, puisque tout était déjà écrit ? Le déterminisme qu’évoque Nowhere Boy devient embarrassant lorsque l’on comprend que le film ne cherchera jamais à faire de Lennon un personnage, mais s’évertuera à construire un être désarticulé, programmé par quelques événements qui se succèdent, formant une notice biographique aussi complète et analytique qu’une fiche Wikipedia. Loin de la fresque, dénué de toute poésie, de toute liberté, le film ne forme qu’une addition de séquences marquantes : John se fait renvoyer du collège pour lecture pornographique, John retrouve sa maman, John découvre Elvis, John forme son premier groupe, John rencontre Paul, puis George, John perd sa maman… mélangez le tout, cela fera un biopic.
Il est assez curieux de constater le paradoxe central que pose ce genre d’œuvres : d’une part, la réalisatrice montre une fascination bien commune pour le génie sorti de l’ordinaire, mais, d’autre part, cet ordinaire reste inexistant, inexploité à l’écran. Qui dit génie doit forcément dire parcours exceptionnel. De fait, tout n’est qu’illustration : les dialogues, la musique et les costumes paraissent imprégnés du souci d’exactitude référencée, et d’amplification tragique qui tombe à plat tant on la prévoit. La précision n’est malheureusement que factuelle, le film ne s’affranchissant jamais d’un cahier des charges scénaristique visiblement préétabli. La mise en scène de l’intime est bâclée, notamment en ce qui concerne Mimi, la tante rigoriste mais aimante qui a élevé John et aurait mérité un peu plus que deux scènes d’émotion factice, larmoyantes et attendues. L’attente, voilà ce qui pourrit Nowhere Boy : le mythe est partout, surplombant, tentant d’enchaîner les acmé qui paraissent toutes plus fades les unes que les autres tant elles sont prévisibles. Les grands musiciens n’ont pas de chance : ils ne font que rarement de grands films. Pour cela, il faudrait sans doute que les réalisateurs qui s’attachent à retranscrire une légende puissent s’émanciper de cette dernière, et fassent eux-mêmes œuvres d’artiste, sans placer la réception d’un film au-dessus de son processus de création.