Après le face-à-face chilien En la Cama distribué en France il y a cinq ans, c’est au tour d’un premier film québécois de s’intéresser à l’intimité physique et nocturne que partagent deux inconnus. Si le thème de la rencontre amoureuse est d’un intérêt scénaristique assez vaste, ouvrant le champ des possible, Nuit #1 s’échine à le refermer inlassablement. À l’ouverture à l’autre, à la découverte de l’inconnu, Anne Émond préfère le repli sur soi et la représentation de l’angoisse de vivre de la jeunesse, dans un austère huis clos, lassant, centré sur l’ego de ses personnages.
Souvenons-nous il y a quelques mois : Week-End, le deuxième long-métrage d’Andrew Haigh, mettait en scène l’intime rencontre entre deux hommes, amorcée par une rencontre en boîte et prolongée par une nuit partagée. Elle était ensuite développée avec sensibilité sur quelques jours. C’était une rencontre et une représentation de la découverte amoureuse dans lesquelles brillait l’humilité des personnages comme du propos – démarche dont Nuit #1 constitue l’exact contre-pied. Porter ses personnages vers le meilleur grâce à l’ouverture à l’autre, dans une rencontre en principe incongrue (partager l’intimité physique de quelqu’un qu’on ne connaît pas), c’est ce qu’Anne Émond refuse obstinément, au profit du portrait d’une jeunesse paniquée, prétendant du même coup en ausculter les affres.
Clara et Nikolai se rencontrent en boîte et couchent ensemble. Alors que Nikolai est endormi, Clara décide de partir – mais le jeune homme la rattrape, se lançant dans un geste que la réalisatrice veut, on le sent, poser comme inattendu, anticonformiste, courageux. Il est facile de faire d’un tel sujet une réflexion moralisatrice sur la pauvreté des relations contemporaines et Anne Edmond n’y échappe pas. Cela non pas pour développer une fiction humaine dans le rapprochement des personnages (ainsi nous est vendu le film) mais pour mettre en place un étrange dispositif dans lequel ils se lancent, tour à tour, dans de longs monologues sur leur angoisse de vivre.
Si le premier, par le personnage masculin, est assez audacieux (Nikolai décrit la contradiction même de leur nouvelle relation : il la connaît physiquement et énumère ce qu’il sait de son corps alors même qu’il ne sait rien de son quotidien), les suivants, égocentriques, agressifs et enfin détestables jouent de la solitude et de la détresse supposée de chacun, sans y trouver le moindre remède. Ainsi ce rapprochement entre les personnages, leur relation naissante ne sont-ils, à l’image du dispositif mis en place par le film, qu’un prétexte pour déverser leurs maux et offrir le portrait nombriliste d’une jeunesse sans repères.
L’un après l’autre, Nikolai et Clara se renvoient au visage un cynisme que le film, tourné quasi uniquement dans l’appartement couleur marécage du personnage masculin, semble avoir plaisir à exploiter. Cet entêtement à montrer les personnages au plus mal, sans doute pour créer une forme d’empathie, n’est jamais dépassé ou mis en perspective. Par conséquent, il tourne à vide, sans la moindre énergie, sans toucher jamais au mystère de son thème. La raison pour laquelle ce thème a été choisi est bien floue : le coup d’un soir n’est ici rien d’autre qu’un subterfuge pour que soit déballée une vision bien triste des relations contemporaines. Et quand, dans une scène finale plus pesante encore, on retrouve Clara écoutant les récitations poétiques de ses jeunes élèves dans une salle de classe, on soupire surtout que ce pseudo-lyrisme ne repose sur aucune réflexion, aucune vraie représentation du monde, mais sur un vulgaire exutoire d’on ne sait quelle vision désespérée de la vie.