Rudy Vandekerchove sort d’une peine de prison de sept ans, bien décidé à reconstruire sa vie : retrouver un travail de réparateur de machines à laver et, surtout, raccommoder les liens familiaux brisés par un drame dont le récit dévoile peu à peu la teneur avec une certaine efficacité scénaristique. Le Belge Peter Monsaert livre un premier long-métrage juste et honnête sur une difficile rédemption.
La récente vitalité du cinéma belge, même si elle ne convainc pas toujours, propose chaque année de nouvelles tentatives de déborder le territoire du réalisme social, balisé par les frères Dardenne, en tirant l’ancrage dans le réel vers des espaces de fiction qui oscillent entre polar (Bullhead) et comédies décomplexées (La Merditude des choses, Hasta la Vista). C’est vers le mélodrame familial que regarde Offline, tout en évitant les écueils du genre. La première image se veut programmatique : en gros plan, un oiseau en cage est emporté dans un bus dans un geste qui élargit le cadre. Libre, enfin, Rudy reste pourtant prisonnier. Car il n’a pas vraiment fini de purger sa peine, celle qui lui a enlevé son épouse et sa fille. À mesure que ce personnage aussi bourru, voire violent, que mélancolique (interprété avec une belle intensité par Wim Willaert, découvert dans Quand la mer monte) tente de renouer des liens qui semblent définitivement défaits, il déterre des hostilités qui contreviennent à ses projets de réhabilitation. Même ses alliés, un vieil ami et une coiffeuse à la retraite, peinent à extirper l’ancien taulard d’une spirale de la débâcle dans laquelle il semble voué à sombrer. Son ex-femme ne veut plus lui adresser la parole, le marché du travail est bien désertique et Rudy tue l’ennui sur internet. Sans emphase ni schématisme, le récit tisse posément autour de Rudy la toile des rancœurs passées qui freine les sentiments et prend le risque de s’exposer à un déchirement irrévocable.
Difficile de parler du film sans spoiler le dispositif scénaristique – tout du moins son amorce – qui conduira cet homme vers sa fille de vingt ans. Égarée dans l’univers virtuel d’une chatbox sexy, Vicky lui ouvre sans le savoir une porte vers une communication ambiguë, que le cinéaste parvient à ne jamais rendre malsaine. Dans l’anonymat de l’internet, Rudy parvient à s’ouvrir, délesté de son identité et du poids du passé, quand Vicky trouve le confident masculin qui lui manque. La webcam met efficacement le champ-contrechamp en déséquilibre, les rapprochant en même temps qu’elle souligne leur éloignement. À la voix et au visage de la jeune fille ne répond qu’un écran noir, prolongement des sept années d’invisibilité et de silence qui les ont privés l’un de l’autre. Bridé par son propre stratagème, Rudy s’englue dans les non-dits, la culpabilité et l’impossibilité d’échapper à un passé qui écrase toute velléité rédemptrice d’une étouffante fatalité.
Incapable de lui donner corps, Rudy ne peut que trimballer l’image de la famille heureuse et épanouie, celle qui orne ironiquement le camion publicitaire qu’il promène pour survivre dans Gand, filmée sans pittoresque. Le retour à la réalité prend la trajectoire d’une errance urbaine jalonnée de solitudes, d’âmes esseulées qui utilisent des moyens détournés pour trouver un peu d’affection, sans pour autant qu’Offline ne tombe dans le misérabilisme émotionnel. La sensibilité mélancolique du film portée par ces deux interprètes principaux, traversée de quelques notes d’humour et ponctuée par les guitares du groupe belge Triggerfinger, l’éloigne des lourdeurs qu’un tel sujet pouvait plomber. Offline a d’ailleurs récolté plusieurs prix en festivals, notamment le grand prix du 32e festival international du film d’Amiens qui lui a permis, en lui octroyant une prime de distribution, de trouver son chemin vers les écrans français.