Sélectionné au Festival de Cannes 2011 dans la section « Un Certain Regard », Oslo, 31 août se présente comme le récit d’une journée dans la vie d’un ex-drogué en fin de cure de désintoxication. Une journée charnière, puisqu’elle marque son retour à la vie sociale, sous la forme d’une permission de sortir pour se rendre à un entretien d’embauche. Un récit mené dans un premier temps avec justesse et délicatesse, mais qu’une dernière demi-heure plus sophistiquée vient entacher par ses quelques maladresses.
La trajectoire est classique, les rouages couramment usités : Anders est un jeune homme qui, le temps du film, va tenter de réapprendre à vivre en société. Évidemment, rien n’est simple pour lui, ni les retrouvailles avec son meilleur ami, ni cet entretien d’embauche où on lui demande ce qu’il a fait ces dernières années, ni le poids de la culpabilité qui porte sur le mal fait à sa famille ou à une ex-copine. Malgré ce refrain somme toute assez connu, Joachim Trier réussit à se sortir du piège de la redite en incorporant par petites touches ces différents éléments, avec une légèreté qui s’assimile aux aléas de la vie. Car le film ne réserve pas de traitement particulièrement édifiant à son personnage principal, évitant d’avoir recours à un excès de pathos malvenu ou aux traditionnelles scènes de mea-culpa, mais plutôt en travaillant tranquillement la matière d’un retour en société.
C’est ainsi que la première heure du film joue avec une heureuse surprise de l’étirement des séquences, dans un rythme languissant presque apaisé que l’instabilité refoulée d’Anders vient parfois troubler au moyen d’un jeu d’acteur économe, misant sur un naturalisme jamais figé. À travers la longue description d’un attachement profond entre Anders et son meilleur ami, le film aborde avec lucidité et sans afféteries des thèmes tels que le refus de la pitié, la peur de vieillir ou la difficulté de rétablir le contact, le tout au détour de conversations qui pourraient être celles de deux vieux potes évoquant des souvenirs d’adolescence.
D’habiles séquences de transition où Anders marche dans la rue mettent en évidence à la fois la solitude du personnage et l’étonnement de pouvoir circuler à nouveau de manière libre dans un monde en mouvement, avec une attention particulière portée aux allées et venues de gens vacant à leurs occupations. Il faut signaler à ce titre une belle idée de mise en scène qui vient illustrer parfaitement la savante acuité que Trier porte alors à son récit ; dans un café, notre personnage écoute les conversations des gens autour, et c’est plein écran qu’apparaissent ses propres tentatives d’imaginer ces scènes du quotidien qui lui sont indirectement narrées, dans un élan illustratif qui vient souligner la sécheresse des pensées induites par un mode de vie trop longtemps détaché du monde.
Cette tendance presque désinvolte dans le traitement du personnage est une bouffée d’air par rapport aux récits qui font de l’addiction même leur centre névralgique, dans une interprétation généralement étouffante et empesée de l’état de dépendance. Ici, Trier préfère pointer les « défauts » de sociabilité de son personnage, pour finalement nous renvoyer à la vacuité d’une société où l’on fait par exemple de la situation professionnelle des autres un critère de jugement. L’alternance entre silences prolongés et explosion de musique à mesure qu’Anders s’enfonce dans la nuit traduit l’ambivalence d’un personnage qui n’entend plus les autres (au sens où il ne les comprend pas), mais qui cherche tant bien que mal à prendre le manège en route.
Pourtant, le point de suspension sur lequel se tient Joachim Trier, et qui voudrait que la trajectoire du film ne soit pas ostensiblement « signifiante », est une position presque intenable qui est rattrapée par la nature même du récit, c’est-à-dire la possibilité d’une rédemption. La dernière demi-heure d’Oslo, 31 août vacille entre un suspense sur le retour à l’addiction et un enchaînement de séquences moins fouillées, dans un désir de clore le récit de manière plus didactique. La mise en scène, qui faisait preuve jusque-là d’une belle économie de moyens, se veut dès lors plus insistante (avec, par exemple, un recours à la musique pour souligner l’état émotionnel d’Anders), comme pour lever le voile sur l’impossibilité du personnage à entrer en communion avec le reste du monde. On y perd ainsi la juste distance entre Anders et le sujet du film, cet intervalle qui permettait au spectateur d’investir son propre rapport au monde dans l’épreuve d’une journée pas comme les autres. Mais en gardant bonne mesure, on n’oubliera pas les belles promesses entrevues durant la première heure du film.