En passant à la réalisation, l’actrice Maïwenn a concrétisé un projet très personnel. Lancé sur ses fonds propres, puis refinancé par ses producteurs, Pardonnez-moi doit tout à l’exigence personnelle et artistique de sa réalisatrice-comédienne. Un film étrange, convulsif et qui reste, sinon totalement réussi, au moins étrangement fascinant.
Actrice de théâtre, Violette décide, alors qu’elle est au début de sa grossesse, de filmer sa famille pour son enfant à venir. « Je veux une caméra qui fait que les gens ne me croient pas si je leur dis que je filme, qu’ils ne me prennent pas au sérieux » lance-t-elle. Un monde sépare souvent ce que Violette dit et ce qu’elle désire. Ce sera elle, en fait, qui voudra ne pas prendre au sérieux les conflits familiaux que soulève sa nouvelle lubie, tandis que les autres vivront pleinement cette étrange agression.
Difficile pour ceux qui se souviennent de l’actrice-réalisatrice Maïwenn dans Le Cinquième Élément de la reconnaître dans le rôle de Violette. Angoissée, hargneuse et bouleversante, elle crève littéralement l’écran. Scénariste d’un film qu’elle décrit comme privé de scénario, Maïwenn livre une œuvre déroutante, à la construction complexe. La réalisatrice a plusieurs identités dans son film. À l’écran, elle est Violette qui décide de filmer son monde. Elle joue aussi un rôle au théâtre — rôle qui n’est pas sans rappeler le personnage de Violette, qui n’est elle-même qu’un miroir pour Maïwenn. Derrière la caméra, elle réalise évidemment son film, mais brouille encore les frontières en insérant dans la fiction des images d’archives de sa propre enfance… Maïwenn a décidé, en dernier recours, et après avoir auditionné nombre de comédiennes, d’incarner elle-même Violette. Elle s’est souvent, lors du tournage, laissée aller à intégrer des éléments de ses propres expériences à un personnage déjà largement autobiographique. Son jeu, comme celui des autres acteurs, est basé sur l’improvisation, qu’elle a imposé à tous ses interprètes. Le film y gagne une efficacité et une agressivité redoutables, évidemment renforcées par une mise en scène dépouillée qui n’est pas sans rappeler celle de Festen.
Dominique, l’ombre du père adoré et détesté (incarné par le talentueux Pascal Greggory) transparaît dans tous les personnages masculins de Pardonnez-moi. Présenté par sa fille comme un monstre violent et manipulateur, un irresponsable Peter Pan, il n’apparaît à l’écran que comme un doux rêveur, un peu interdit devant la violence fielleuse de la haine que lui porte Violette. Mais le père, c’est également Paul, campé par Aurélien Recoing, dans le rôle de l’amant de la mère, géniteur ignoré de la petite sœur de Violette, et qu’elle finira par désirer et comme père, et comme amant. Le père, c’est enfin le petit ami, qui fuit à toutes jambes lorsque Violette lui propose le mariage. On ne saurait trop évoquer Electre, pendant féminin d’Œdipe dans la mythologie. C’est là la grande faiblesse du film : les obsessions de Maïwenn transparaissent tellement qu’on a l’impression d’assister à une illustration filmée par la patiente de sa thérapie.
Mais règle-t-elle seulement ses comptes ? La psy de Violette lui lance que ce personnage de père déjà multiple a été peut-être été seulement fantasmé par elle. Alors que personne dans sa famille ne confirme ses souvenirs, elle soutient mordicus ses griefs contre son père. Son film n’est pour elle que la mise en scène de ce qu’elle aurait aimé être la réalité. Dès lors, on s’interroge : qui de Violette ou de Maïwenn se sert de son film pour concrétiser ses angoisses et ce père haï et désiré ? La folie parfois insoutenable que dégage le film ne fait alors que prendre de l’intensité, d’autant que Maïwenn elle-même admet avoir à de nombreuses reprises pendant le tournage laissé son passé prendre le pas sur celui de son personnage.
Premier film dangereusement original dans la forme, Pardonnez-moi est une expérience cinématographique sans doute unique, une variation sur le thème de Festen aux accents jusqu’au-boutistes impressionnants. Ce film intime et audacieux, lancé au départ par Maïwenn sur ses fonds propres, mérite certainement le coup d’œil. S’il n’est pas totalement réussi, il reste suffisamment extrême et original dans le paysage cinématographique français pour susciter une curiosité respectueuse et légitime.