Le nouveau film du Norvégien Erik Skjoldbjærg (dont le seul titre de gloire reste d’avoir vu son thriller arctique Insomnia refait en Amérique par Christopher Nolan) semble emboîter le pas au principe de son précédent, Hold-Up : tirer d’un fait réel la substance d’un pur film de genre. C’est ainsi que Pioneer se frotte au thriller paranoïaque, basé sur un scandale national qui éclata dans les années 1980 et qui remonta jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme en 2011, pour aboutir à des excuses et des dédommagements de la part du gouvernement. Dans les années 1980 de la fiction, donc, tandis que Norvège et États-Unis collaborent sur l’exploitation des gisements de pétrole de la mer du Nord tout en se regardant en chiens de faïence, un plongeur sous-marin du premier pays (Aksel Hennie, un des comédiens locaux les mieux cotés) est victime d’un accident inexplicable où son frère et collègue est tué. Refusant de porter le poids de son éventuelle culpabilité, il découvre que ses employeurs cherchent à maquiller certains détails de l’affaire, et dès lors s’attelle à déterrer une vérité qu’il est le seul à vouloir, au péril de sa vie.
Ce début, où l’esprit du protagoniste est rongé par un sentiment de culpabilité jetant une ombre sur ses soupçons de complot, constitue sans doute la part la plus trouble et intéressante de Pioneer. Or la piste s’estompe rapidement, dès lors que le mensonge des patrons devient avéré, que le personnage passe de possible sujet au déni à vrai témoin gênant et que le récit rentre dans les rails du thriller paranoïaque classique avec grosses compagnies véreuses, incidents suspects et raison d’État peu justifiable. La manœuvre est néfaste, car elle fait basculer le film en un mode mineur, refréné, peu engageant. Comme spécimen d’un genre, Pioneer, malgré son enchaînement de péripéties à potentiel anxiogène, manque singulièrement de nervosité, d’intensité, de pleine prise avec le danger à l’œuvre, que ce soit dans la mise en scène fonctionnelle mais peu inspirée ou dans le jeu timide des acteurs. Et puis, en dehors de ces ornières, il échoue à mettre le doigt sur des à‑côtés tant soit peu intéressants, sur une vision oblique qui ferait office de lecture alternative d’un film au premier abord conventionnel. Tout au plus dénichera-t-on une certaine ambiguïté stimulante dans la relation entre le protagoniste norvégien et un de ses collègues américains (Wes Bentley), dont on ne sait trop s’il s’agit d’un ennemi, d’un concurrent, d’un possible allié ou des trois à la fois — relation renvoyant immanquablement à celle entre leurs pays respectifs à l’époque, faite de rivalité et d’interdépendance.
Distance n’est pas profondeur
L’hypothèse seule d’un manque d’inspiration dans le genre paraît réductrice. Tout se passe en fait comme si Skjoldbjærg instaurait sciemment une distance entre le regard du spectateur et le film. Il égrène les éléments de son thriller, mais refusant de verser dans un spectaculaire dont le cinéma américain (qui connaît bien le genre) est coutumier, il filme tout de manière minimaliste (par défaut : ne pas confondre avec l’ascèse prononcée d’un Bresson), comme s’il ne faisait confiance qu’à ce qu’il filme pour générer la tension attendue. L’ennui est que primo, une telle confiance est un leurre, et secundo, en lieu et place d’une mise en scène plus engagée à mettre en avant ce qui est filmé, le réalisateur n’a pas grand-chose à proposer, ni vision personnelle ni vrai parti pris. Son film, lui, relève toujours, bien évidemment, du spectacle, mais un spectacle à peine assumé, un produit qui voudrait inspirer autre chose que le divertissement ordinaire mais n’en a guère les moyens. Et les nappes électroniques fadasses de la musique composée par le tandem Air ne font rien pour donner le change. Récit d’un pavé dans la mare (ou dans la mer du Nord), Pioneer n’a dès lors que la force d’un coup d’épée dans l’eau.