Inspiré par un meurtre homophobe barbare qui a choqué le Chili en 2012, l’artiste musical Álex Anwandter en a tiré un premier long-métrage peu convaincant, trahi par son ambition de dépasser son matériau d’origine.
C’est que la question de l’acceptation de son homosexualité face à l’intolérance, qui a attiré sur le film attentions, suffrages voire récompenses (prix du jury des Teddy Awards 2016), se trouve à l’arrivée reléguée en sujet corollaire à un autre sujet, plus large, que semble viser le réalisateur. On ne s’y intéresse réellement que dans la première trentaine de minutes, le temps de nous familiariser avec Pablo, la future victime. Ce lycéen tente de vivre sa vie entre son père vieux jeu qui ne sait rien de son intimité, ses amis, sa passion pour le cabaret, ses ébats avec son amant (ils semblent avoir peu d’autres interactions), et ses retours chez lui en rasant les murs pour tenter d’esquiver la bande de brutes qui le harcèle. Le portrait n’est pas très atypique, mais il séduit par un dosage d’empathie avec son personnage et de sécheresse dans la représentation de sa situation. Cependant, l’attention se porte surtout sur la part d’ambiguïté qui apparaît à la périphérie du portrait : l’amant, Felix, d’autant plus honteux de sa relation avec Pablo qu’il se trouve justement sous l’influence de la bande de brutes. Au point que, quand ceux-ci finissent par tomber sur Pablo, le tabasser et le laisser pour mort, Felix participe à la curée, comme pour tirer un trait sur ses propres désirs.
Erreur de colère
Jusque-là, Anwandter ne s’en tirait pas trop mal, appuyé essentiellement sur l’intérêt de ce portrait et de ses à‑côtés. Les choses se gâtent vraiment quand, alors que Pablo plongé dans le coma passe dans le hors-champ du film, le réalisateur tente d’élargir son propos en recentrant son récit sur Juan, le père du jeune homme. À travers ce terne fabricant de mannequins (un symbole qui manque de conviction) découvrant au coup par coup que son fils est gay, que les agresseurs de ce dernier sont connus mais n’iront pas en prison, qu’il devra se saigner aux quatre veines pour les soins de Pablo à cause d’un système de santé mal compris, que son prétendu associé l’exploite, bref, que les valeurs sociales auxquelles il croyait sont bien corrompues, Anwandter prétend passer de la dénonciation d’une violence à celle d’une autre plus générale, d’une colère légitime à une autre. C’est alors que les faiblesses de sa narration deviennent vraiment embarrassantes, entre l’approximation totale du regard posé par la caméra sur les personnages en détresse ou en colère (cette laideur des gros plans en 2.35 sur les visages), la grossièreté de la direction d’acteur (Sergio Hernández, qui joue le père, a connu des jours meilleurs aux mains de réalisateurs plus chevronnés comme Raoul Ruiz ou Sebastián Lelio), l’abus des teintes sombres de la photographie pour figurer à quel point cette vie est moche, et enfin l’absence de direction dans ce virage du récit.
Car au gré des grimaces torturées de Juan, Plus jamais seul vise tour à tour le constat social proche de Ken Loach, le revenge-movie, la comédie douce-amère, la tragédie, mais se trouve constamment incapable de rendre prégnante cette trajectoire hésitante, ou d’insuffler quelque importance à la destination — floue — que le personnage finit par adopter. Le film se noie dans ses intentions mal dégrossies, et ne sera sauvé ni par le retour par petites touches du motif de la transgression (comme dans cette infirmière jouée par Antonia Zegers, à la répartie vive, à l’esprit non conventionnel… et lesbienne), ni par les images finales offrant un dernier hommage coloré à Pablo, qui sonnent comme un rappel après un long, trop long et trop erratique intermède.