Qu’il est loin, le temps où le réalisateur Alex Proyas faisait encore illusion ! Qu’il est loin, le temps des bancals mais intéressants The Crow ou Dark City ! Et pourtant, c’est peu dire qu’après I, Robot, certainement l’écran pub le plus long et le plus cher de tous les temps (quoique), les anciens admirateurs de son univers artistique très affirmé attendaient avec impatience le retour du réalisateur à ses anciennes amours. Qu’ils soient prévenus, ils en seront pour leurs frais. Au menu de Prédictions : dimension artistique 0 du film à Computer-Generated Images, Nicolas Cage (prince incontesté de la mimique ahurie) et, si ça ne suffisait pas, un bon petit côté créationniste. Aïe !
John Koestler est un homme marqué par la vie. La mort de sa femme dans un incendie a éteint en lui tout espoir, toute croyance en une volonté supérieure qui présiderait à nos existences, ne laissant en lui que le scepticisme cynique du scientifique rationnel. Sa seule raison de vivre est son petit garçon, Caleb, avec lequel il a de croissantes difficultés à communiquer. Lorsque l’école de Caleb décide d’ouvrir la « time capsule » que les élèves d’il y a 50 ans avaient enterrée, le jeune garçon se trouve le dépositaire d’un étrange papier, laissé par une petite fille de l’époque, couvert de chiffres. S’apercevant fortuitement que la suite comprend à intervalles réguliers les dates des plus terribles catastrophes planétaires, notre professeur tente de décoder le papier, pour découvrir bientôt que non content de prévoir, avec 50 ans d’avance, ces terribles événements, le papier se révèle porteur de dates de catastrophes encore à venir. Et tandis que le brave professeur essaye de comprendre comment éviter ces catastrophes, d’inquiétants individus fantomatiques se rapprochent de son fils…
A‑t-on sérieusement, je vous le demande, du temps à gâcher lorsqu’on a deux heures pour filmer l’Apocalypse ? Non, évidemment non – pas alors que le tout-démonstratif règne en maître dans le cinéma populaire, et que le cahier des charges de tout film à grand spectacle doit comprendre son lot d’éblouissement visuel. Alors, notre héros ne prendra que fort peu de temps à s’interroger sur les raisons qui le mettent sur la piste de ces prophéties étranges, et Proyas pas beaucoup plus pour filmer les tourments d’un homme brisé par la vie qui se voit jeter à la face l’évidence d’une existence divine ou assimilée à laquelle il a tourné le dos par dépit. À l’inverse, le réalisateur, manifestement à la recherche du même public que l’amusante saga Destination finale, va prendre beaucoup de soins pour nous montrer ses incroyables « séquences de catastrophe », terriblement impressionnantes – mais évidemment dénuées de la moindre goutte de sang, même en cas de centaines de personnes écrasées, cela étant dû certainement à la vitesse de l’impact. Certainement.
Après tout, le film est doté d’un budget confortable estimé à 50 millions de dollars, autant que cela apparaisse à l’écran – mais il faut absolument éviter de déranger son auditoire, fût-ce au prix de la vraisemblance, fût-ce avec la dernière malhonnêteté assumée quant à sa volonté de peindre l’Apocalypse. Mais l’aspect destructeur total de cet événement n’est pas ce qui semble intéresser les scénaristes de Prédictions, non plus que la moindre ambition narrative – on se désintéresse en effet assez rapidement des péripéties de nos héros pour ne plus attendre que la prochaine séquence à CGI. Ce qui semble avoir largement intéressé l’équipe de scénaristes, en revanche, est l’aspect religieux du film.
Il fut un temps où les films s’inspirant des mythologies religieuses avaient la décence, la subtilité d’introduire du doute, constituant des monuments d’ambiguïté dont ce doute faisait tout le sel – le meilleur exemple restant certainement L’Exorciste de William Friedkin. Prédictions, quant à lui, ressemble plus à une brochure prosélyte pour créationniste fervent, autour du thème : Dieu (nommez-le comme vous voulez) existe, bande de mécréants, et rien de ce que vous pourrez faire ne pourra vous sauver à ses yeux. Ce ne serait pas si grave, si cette déclaration morale ne possédait une autre face : à quoi bon mener une vie de vertu, si rien ne nous rachètera aux yeux d’un quelconque dieu ? Il n’y a pas loin, de cette déclaration, à celle qui dira que l’être humain, damné par essence, peut se conduire de la pire façon possible (disons, par exemple, mener des guerres – mais ce n’est qu’un exemple), et s’abstenir de rendre des comptes sur cette terre, puisqu’une plus haute autorité a déjà arrêté sa condamnation. Et le final de Prédictions, naïvement œcuménique, ne rachète aucunement cette grosse machine prosélyte aux enjeux artistiques inexistant et à la simplicité intellectuelle dangereuse.