On a assez vanté ces dernières années, grâce à l’essor du numérique, la réappropriation du cinéma par une jeunesse qui était jusque-là tenue à l’écart de ses circuits de financement habituels. Un cinéma artisanal a pris son envol, presque acte de résistance en soi, dans lequel on se plaît à voir la vigueur du cinéma hexagonal de demain. Quand je ne dors pas en a tous les critères, petit budget de production, équipe réduite et presque familiale avec double casquette de plusieurs personnes, éloge de la liberté induite par ces petits moyens, de même que celle d’un cinéma intime, audacieux. Pour une fois, le fils de semble échapper au favoritisme et aux avantages de son nom : Tommy Weber, le réalisateur, est le fils de Jacques, qui joue d’ailleurs un petit rôle dans le film. Mais cela semble être plus en forme de clin d’œil affectueux que de caution de succès ou motif promotionnel. Contre toute attente et loin d’être contraire à l’indépendance du projet, cela en renforce le caractère artisanal, familial : à taille humaine.
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Comme Fièvres ou Casting sauvage cette année, Quand je ne dors pas arrive sur nos écrans sous l’égide du cinéma do it yourself. Il en porte bien l’énergie créatrice et l’audace libertaire qui imposent de se réapproprier le cinéma. Antoine, son protagoniste, sujet et moteur de la fiction, est un jeune homme désœuvré, lassé de notre triste capitale et de l’oisiveté dans laquelle il s’est enfermé (au chômage, il passe ses journées à fumer des joints). Antoine décide un soir d’aller voir la mer depuis la Gare Saint Lazare – là où ses quelques euros pourraient l’emmener. Rien avant le lendemain 7h et un départ pour la côte normande. Un peu naïf il se met en tête, d’ici au petit matin, de réunir la somme nécessaire pour se payer son billet. Après un passage chez son dealer d’herbe, pour qui il espère s’improviser vendeur, Antoine va passer la nuit, de rencontres en incrustes, de dragues en impostures, à brûler son spleen par les deux bouts, arpentant la nuit parisienne par l’intermédiaire de situations plus ou moins cocasses ou dangereuses.
Petit dans sa forme (film court, avec une unité de temps et un protagoniste unique), Quand je ne dors pas se donne par ailleurs comme un film assez humble, malgré son questionnement presque existentialiste. Ce qu’il met en lumière, à travers le désarroi de son personnage, c’est l’errance d’une jeunesse qui ne trouve pas sa place dans une société aseptisée, qui n’a à lui offrir que des destins tous tracés. Antoine, musicien romantique (dont les chansons, presque parlées et aux textes amusants, constituent la bande son du film et ses intermèdes musicaux), idéaliste un peu naïf, ne propose comme alternative à sa déroute que d’aller voir la mer. Mais le geste est beau et touchant ; l’énergie, bien qu’on puisse trouver le propos simpliste, est communicative et enjolivée par le noir et blanc des images de la nuit parisienne. Avec une grande bienveillance, loin des clichés du thème (deal, vie la nuit et désarroi des jeunes), Quand je ne dors pas est un beau petit film. On peut même voir dans son anecdote et son propos la métaphore du cinéma qu’il défend : contre les évidences, qui se veut une alternative aux productions conçues en série, sans âme. Un film humain avant tout, qui fait consciemment le choix d’une certaine naïveté, d’une certaine tendresse, pour le meilleur.