Santiago Amigorena officie comme scénariste depuis une vingtaine d’années pour le cinéma français et quelques coproductions ; ses collaborateurs les plus réguliers se nomment Cédric Klapisch (Le Péril jeune), Christophe Loizillon (Ma caméra et moi) ou Idrissa Ouédraogo (Samba Traoré). Il aborde sa première réalisation dans l’état d’esprit du débutant plein d’idées piochées ici et là au point de ne plus savoir où les mettre : la page du dossier de presse où il exprime ses intentions de cinéaste par une longue liste de « Ce que je voulais c’était…» (sans la virgule) est assez éloquente. Était-il nécessaire de passer par une évocation du 11-Septembre pour donner libre cours à ces idées de cinéma ? Reprenons ses propres termes pour y répondre.
« Ce que je voulais c’était écrire une tragédie d’espionnage (le résultat, parfois, peut faire rire).»
En effet, l’intrigue pratique assez bien le mélange des genres. Dans les premiers jours de septembre 2001, Elliot, un espion américain, disparaît de la circulation avec des informations capitales ; il donne cependant rendez-vous dans divers endroits d’Europe à sa fille Orlando, son fils adoptif David et sa vieille amie Irène, elle aussi agent secret. Tout ce beau monde est suivi de près par William Pound, un tueur mentalement instable, et des banquiers du Moyen-Orient. On voit assez vite où l’auteur veut en venir (on se doute que l’histoire se terminera le 11), et le croisement de la grande histoire et des toutes petites n’a rien de choquant en soi.
« Ce que je voulais c’était ne pas oublier que la première fois que j’ai embrassé une fille, c’était (…) devant James Bond contre Dr No. »
Ça se gâte lorsque Amigorena se met à pratiquer le mélange des registres, avec l’apport de personnages excentriques et de dialogues décalés censés apporter un peu de fantaisie et de légèreté à cette tragédie, mais qui n’apparaissent que comme des distractions inutiles tirant l’ensemble vers une dimension proche du n’importe quoi, comme si rien n’avait d’importance. Irène est une espionne anticonformiste à la répartie facile, qui fume le cigarillo et parle fréquemment à sa tortue. William Pound, tueur professionnel implacable, est féru de poésie classique anglaise qu’il déclame volontiers, appelle fréquemment son psychiatre au téléphone (généralement en pleine mission) et mène ses filatures en camion de fleuriste. Les discussions prennent des tours parfois franchement ineptes, voire agaçants compte tenu de la toile de fond, telle cette dispute entre Orlando et David qui tourne au déballage puéril de l’amour/haine entre la France et les États-Unis. La relation ambiguë entre ces deux demi-frères est dans l’ensemble une belle idée, mais qui finit par n’être qu’une addition sans autre but que se faire raconter, montrer son anticonformisme et son décalage par rapport au contexte du film.
« Ce que je voulais c’était formuler un projet où je pourrais tenter les mille et une idées de mise en scène qui se sont accumulées dans mon esprit pendant ces vingt années (…).»
La mise en scène est de la même eau que le récit : on y retrouve des fragments d’idées souvent intéressantes en elles-mêmes, mais dont l’accumulation trahit l’absence de vrai projet cinématographique d’Amigorena, tant l’application dans le film de la plupart de ces idées s’avère sans objet. Ainsi, ce stupide duel final au pistolet à silencieux, dont on n’entend aucun son et ne voit que les lueurs des coups de feu. La seule idée à peu près conséquente — et récurrente — est le filmage de plusieurs scènes avec une focale extrêmement réduite, laissant dans le flou tout ce qui n’est pas collé à la caméra, simulant le point de vue d’un myope. Pour expliciter cela, l’auteur s’en remet à Irène, elle-même myope, qui enlève fréquemment ses lunettes pour, dit-elle, « voir les choses différemment ». À la toute fin, cependant, lorsqu’on annonce les attentats de New York, l’image floue revient peu à peu à la normale. Pour la première fois, le cinéaste dégage un propos à peu près sérieux, semblant évoquer le 11-Septembre comme l’électrochoc qui a ouvert les yeux à un monde aveugle. Difficile pourtant de croire en la sincérité de cette remarque, au bout des deux heures de vagabondage narratif stérile dans lequel Amigorena s’est complu.
On peut débattre de l’aspect moral d’un exercice de style centré autour d’un acte terroriste à l’impact planétaire. Mais une chose est certaine : il est difficile de se prétendre metteur en scène simplement en collant des idées bout à bout pour la seule beauté du geste, l’air de se moquer d’avoir un vrai projet cinématographique.