Cameron Crowe est une énigme. Extrêmement populaire aux États-Unis, sa renommée n’a presque pas dépassé les frontières. Dans son pays d’origine, ses films bénéficient d’une immense côte d’amour auprès de la critique et du public : la comédie générationnelle Say Anything…, sortie en 1989, est considérée aujourd’hui comme le film culte de la génération des trentenaires issus de la middle-class, de même que Singles (1992), portrait édulcoré de la contre-culture grunge, avec Matt Dillon. Accédant au statut de star grâce à la comédie romantique Jerry Maguire en 1996 (un oscar du meilleur second rôle pour Cuba Gooding Jr et une nomination pour Tom Cruise), Crowe n’a fait l’unanimité des deux côtés de l’Atlantique qu’une seule fois, avec le très personnel Presque célèbre en 2000, portrait d’un ado passionné de rock, chargé par le magazine Rolling Stone de partir en tournée avec un groupe pour les besoins d’un article. L’évidente sincérité du film, porté par un regard touchant et lucide sur l’Amérique des seventies, laissait croire que Cameron Crowe utilisait enfin ses maniérismes habituels à bon escient : sentimental mais plus sentimentaliste, nostalgique sans être pleurnichard.
Après la parenthèse Vanilla Sky en 2001 (catastrophique remake d’Ouvre les yeux de Alejandro Amenábar), Rencontres à Elizabethtown joue sur le même tableau que Presque célèbre : la chronique autobiographique. Drew Baylor (Orlando Bloom) est un jeune designer sur le point d’être licencié par la marque de chaussures qu’il a menée à la faillite avec un prototype de basket ratée. Au même moment, il apprend par sa sœur que son père est mort. Dépassé par les événements, il accepte presque malgré lui de se rendre dans le Kentucky, où repose le corps, pour régler les funérailles. L’occasion pour lui de retrouver la famille et les amis de son père, pour le moins farfelus… et de rencontrer en chemin une hôtesse de l’air (Kirsten Dunst) qui va le bousculer un peu dans ses certitudes. Ça vous rappelle quelque chose ? En début d’année sortait Garden State de Zach Braff, sympathique comédie douce-amère sur l’histoire d’un jeune comédien raté qui retourne dans sa province natale pour l’enterrement de sa mère et renoue par la même occasion avec ses amis et sa famille, tout en rencontrant l’amour sur son chemin. Garden State n’était pas un grand film mais avait le mérite de créer un univers un brin décalé : la vision angoissée d’une province américaine peuplée de freaks souriants lui apportait une légitimité certaine.
Ce n’est hélas pas le cas avec Rencontres à Elizabethtown : visiblement soucieux du détail, Cameron Crowe a tenté de réaliser plusieurs films en un. Comédie romantique, critique sociale, drame familial, chronique générationnelle, road-movie… À vouloir brasser les univers et les ambiances, Crowe s’éparpille et rate à chaque fois sa cible. Avec sa galerie de personnages pittoresques, le réalisateur se prend constamment les pieds dans l’anecdotique et multiplie les scènes inutiles. Quand il se rappelle qu’il a une histoire à raconter, il revient précipitamment à son scénario, affublant la totalité de son film d’artifices absurdes pour en justifier les changements de ton. Ainsi de cette longue scène totalement hors-sujet dans laquelle Bloom et Dunst roucoulent au téléphone pour s’échanger des platitudes romantico-philosophiques quand jusqu’ici, le film était presque exclusivement centré sur la quête identitaire du jeune héros.
Cameron Crowe n’est pas aidé par son comédien principal, Orlando Bloom, peut-être l’imposture la plus flagrante que l’industrie hollywoodienne ait essayé d’imposer au public ces dernières années. Avec sa gueule de jeune premier et son air soucieux, Bloom faisait joliment illusion dans des produits comme Pirates des Caraïbes. Ici, son absence totale de talent et son incapacité à incarner de façon crédible les situations les plus quotidiennes éclabousse l’écran, un handicap problématique pour un film aussi disparate dont le jeune héros est censé être la colonne vertébrale, le double fictionnel du réalisateur. Sa transparence aurait pu servir le personnage, qui passe la moitié du film à subir les événements ; au contraire, elle renforce son absence de point de vue. Aux côtés de Bloom, les seconds rôles en font des tonnes : mention spéciale à Susan Sarandon dans le rôle de la mère qui tente de s’inventer une nouvelle vie. Seule Kirsten Dunst parvient de temps en temps à insuffler au film un peu de fraîcheur et de vie, mais son rôle d’hôtesse de l’air hystérique anéantit tous ses efforts.
Curieusement, dix minutes avant la fin, Cameron Crowe abandonne les multiples pistes qu’il a explorées tout au long de son film et lance son jeune héros sur les routes de l’Amérique profonde pour un road-movie musical inattendu. Obsédé par la culture rock, Crowe laisse parler l’ancien journaliste qui est en lui et embarque le spectateur dans une virée jouissive : alors que jusqu’ici tout dans Rencontres à Elizabethtown paraissait forcé, le film prend enfin son envol. Ces dix petites minutes en disent plus sur leur auteur que tout le reste du film, supposément autobiographique. Malheureusement, c’est un peu tard pour sauver l’ensemble du naufrage.