On connaît Mélanie Laurent l’actrice ; son premier long-métrage, Les Adoptés (2011) n’avait pas encore suffi à faire de la jeune femme une réalisatrice reconnue, en raison de sa confondante naïveté sans doute. Malgré un résultat honorable au box-office, ce triste film qui était d’une ingénuité presque touchante est rapidement passé aux oubliettes. Comment, après ce forfait, Respire a‑t-il pu se retrouver cette année en ouverture de la Semaine de la Critique à Cannes ? Est-ce par définition la place d’un film simple, populaire et auréolé d’une signature « auteur » (équation hasardeuse – comme pour Suzanne en 2013 ou Broken en 2012), ou une question de copinage plus triste encore ?
Reste qu’en choisissant d’adapter, sur les conseils de son producteur Bruno Levy (Move Movie), le best-seller adolescent Respire – par lequel la réalisatrice dit elle-même avoir été « bouleversée et choquée à 17 ans » – Mélanie Laurent condamne son film à une pure transposition de sa structure et de son effet choc (seule manière de dérouler une anecdote qui ne vaut que dans sa construction). Elle s’auto-condamne, en un sens, à faire de son film un produit industriel dont chacun des partis pris de mise en scène et de narration ressemble plus aux déclinaisons d’un positionnement marketing (filtres et plans lumineux, belles jeunes filles mélancoliques et sexy, musique branchée…) qu’à des choix artistiques.
Respire est l’histoire d’une soumission qui se transforme, d’un coup sec, en tragédie. En ce sens, la lente croissance de la tension intérieure jusqu’au climax final (une scène réussie et bien jouée, malheureusement dégonflée en une seconde par un regard caméra si lourd et démonstratif…) ne se justifie d’aucune autre façon que : 1) celle d’une adaptation littérale sans inventivité, 2) du film à bonne idée, qui garde son effet coup de poing pour nous terrasser au tout dernier moment et s’épargner le travail de tenir un discours intelligent sur le monde pendant l’heure et demie restante. Celle-ci nous dresse le bilan d’une insupportable soumission féminine, dont en toute simplicité le scénario dessine la généalogie dans la relation (toutefois singulière) de la mère de Charlie avec son amant qui la néglige mais qu’elle ne parvient pas à abandonner… et qui n’est autre que le père de sa fille.
Une histoire bancale
On devrait peut-être s’interroger sur cette image que les femmes elles-mêmes nous donnent des femmes : comme dans Une histoire banale cette année où Audrey Estrougo choisissait de taire la question essentielle que soulevait son anecdote (qu’est-ce qui, dans la chair ou l’esprit des femmes, semble leur laisser croire qu’elles sont incapables de se défendre ?), Mélanie Laurent ne questionne jamais la docile et stupide acceptation de son personnage, condamnant de génération en génération les femmes à accepter les mauvais traitements qu’elles subissent, jusqu’au jour où ça finira mal pour tout le monde… Que l’oppression vienne d’un amant, d’un agresseur, d’une autre femme ou d’une adolescente désemparée elle aussi, le problème est le même et ce cinéma se complaît à l’évincer – ici pour montrer de belles demoiselles, faire écouter de la musique tendance, et surtout nous clouer le bec à la fin dans cet extrémisme très adolescent du « tout ou rien ».
Notons toutefois une habileté frappante et bienvenue : les scènes de groupe entre adolescents – à la sortie du lycée, en soirées – sont d’un naturel rare, ce qui heureusement fait passer un peu d’oxygène dans ce triste film. En dehors de cela, Respire n’est que la mise au goût du jour d’un roman de gare d’il y a vingt ans. Si la naïveté de Mélanie Laurent pouvait être une erreur la première fois, elle ne nous trompe désormais plus.