Quel plaisir de voir un film qui ne ressemble à aucun autre ! Déjà, avec son court métrage C’est plutôt genre Johnny Walker, Olivier Babinet avait su imposer un cinéma particulier et inventif, lançant en apesanteur les pilules au-dessus de la ville parisienne, tout comme les habitudes d’une « certaine tendance du cinéma français ». Pour son long métrage, Olivier Babinet a choisi un co-réalisateur de taille : Fred Kihn, et excusez du peu, a co-fondé sa propre société de production, Ferris & Brockman. Entre road trip déluré et quête philosophique ludique, le film constelle le cinéma français de nouvelles étoiles hallucinées. Car, si Robert Mitchum est mort, Olivier Babinet et Fred Kihn ne le sont définitivement pas.
Arsène (le génial Olivier Gourmet) est un producteur qui veut à tout prix que son protégé Cosme Castro (Pablo Nicomédès) rencontre le réalisateur Georg Sarineff dans un festival au pôle Nord. Cosme Castro, acteur pataud sans ambition, est un personnage endeuillé par la disparition de sa femme (morte, ou partie, on n’en saura rien). Duo détonant d’un qui va de l’avant, et l’autre en arrière. Pablo Nicomédès a néanmoins une « gueule » parfaitement photogénique qui donne à son personnage la lumière qu’il n’a pas en motivation. Les deux se mettent en route direction le Cercle Polaire pour aller rencontrer ce réalisateur. Un étrange personnage, Douglas (Bakary Sangaré de la Comédie Française), rejoint le voyage en montant dans le coffre de la voiture (logique, puisque la porte est fermée). Récit de voyage halluciné, Robert Mitchum est mort est avant tout un film qui raconte une quête personnelle et cinématographique.
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Le film a tout d’abord été repéré par l’ACID en 2010, dans une programmation de qualité (entre autres La Vie au ranch, et Fleurs du mal de David Dusa). La sélection de l’ACID se veut être celle d’un cinéma « différent », auquel le cinéma de Fred Kihn et Olivier Babinet s’identifie parfaitement : inventif et novateur, à l’encontre des « chroniques » typiquement françaises. Le film fait évoluer les frontières, les dépassent. Et pour cause, le scénario a été écrit à la suite du voyage des deux réalisateurs au pôle Nord.
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La première séquence du film est l’emblème de cette volonté de dépassement : Cosme Castro se dézingue de son costume de robot dans les rues de Paris. En somme, enlever sa mue, et naître, comme enfanté par la caméra des deux réalisateurs. Et s’échapper en même temps du bestiaire des figures du cinéma passé, dont le film entier est l’exutoire. La justesse du film tient beaucoup à la précision de la mise en scène d’un cinéma saturé de références, toujours tournées en ridicule et jamais prises au sérieux. Dès le début, dans une des plus belles séquences du film, Cosme dialogue en champ-contrechamp face à une photographie de sa femme, via la bande son du faux-film Fatal Angel, qui deviendra le leitmotiv du film. La mémoire personnelle est reliée au souvenir cinématographique : la mise en scène explorant une culture cinéphilique en même temps qu’elle évoque la prégnance du passé personnel. Cet aspect du film trouve sa cohérence dans le scénario, parsemé d’archétypes féminins : l’étudiante naïve, ou la femme mûre, qui ne parviennent pas à ce que Pablo oublie la première « Fatal Angel ». Elles ne peuvent rester car elles n’incarnent pour le personnage que des figures, alors que le convoi est en quête d’absolu, voulant dépasser une culture qui n’est pas la leur, et un passé qui n’est plus, comme le souligne très bien la chanson « Quand nous nous réveillerons d’entre les vivants », composée par Étienne Charry, qui a notamment travaillé avec Michel Gondry.
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Cosme Castro et ses réalisateurs sont dans un trop plein de références qu’il faut expier. En ce sens, ce road trip prend des allures de recherche nihiliste. Comme le dit Douglas, « Le pôle, ça va être bien, y’a rien. » L’essence des choses, tel est l’objectif de la voiture mené par l’acteur et son producteur. Ces moments sont amplifiés par l’image de Timo Salminen, chef-opérateur attitré de Kaurismaki (qui a été à l’origine du projet, comme il est dit dans l’interview). L’image bleutée et contrastée, qui s’intensifie plus le parcours et le film avancent, permet de ressentir les températures de ce voyage cinématographique vers le pôle Nord. On voyage ainsi en même « temps » que les personnages.
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Arrivé au Cercle Polaire, le convoi découvre tristement un haut-parleur qui grésille… « Bienvenue au pôle Nord ». L’important n’est pas là, seul le voyage compte. « On pense que grandir c’est comme gravir une colline, on atteint le sommet et puis après tout va mieux », dit Douglas, le sage à l’allure de manitou. Au pôle Nord, le convoi ne trouve que des vestiges d’un cinéma passé dans un décor de western, avec des personnages de femme fatale. Le cinéma n’est pas plus au Cercle Polaire qu’ailleurs : il est constitué par la somme de souvenirs cinématographiques et individuels que chacun aura eus pendant le voyage. Cosme choisira de se diriger ailleurs. Où ? On verra. Comme dit dans le film, « Un moment ça fait boom. Il n’y a pas de sommet, pas de moi prochain. Y’a que nous. » Peu importe le but, seuls les personnages sont importants. Il ne s’agit pas d’aller chercher trop loin ce qui est déjà ici et maintenant, voici la philosophie qui parcourt chaque plan du film. Il n’y a pas de destination finale. La direction est importante, pas le but.