Après les débâcles que furent À la dérive et Revolver, Guy Ritchie revient, sous la houlette du producteur Joel Silver, à ses premiers amours avec RocknRolla. Est-ce une bonne nouvelle ? Pas franchement car la recette paraît bien usée. Ceux qui n’étaient déjà pas très friands du style publicitaire du réalisateur britannique devraient être confortés dans leur bon droit. Les autres réviseront leur jugement.
Qu’il est antipathique, le cinéma anglais, dès qu’il prend des allures de polar branchouille avec galerie de personnages hauts en couleur, intrigue à tiroir et bande-son dynamique. Qu’il est triste, l’héritage du cinéma américain en Europe. Sérieux et coincé en France, prétentieux et crétin en Angleterre. Guy Ritchie fut l’un des premiers bénéficiaires à l’avoir exploité, il y a une dizaine d’années. Régurgitant le maniérisme de Tarantino et de Scorsese, sa réalisation se résumait à des tics formels plutôt toc qui en impressionnèrent tout de même certains le temps de deux films : Arnaques, crimes et botanique (1998) et Snatch (2000). Mais dès que le moment fut venu pour lui de passer à autre chose, d’abandonner les artifices scénaristiques pour démontrer qu’il pouvait sortir du genre où il s’était emmuré, le château de cartes filmique s’écroula rapidement. Alors pour redorer son blason il revient, avec RocknRolla, à ses bonnes vieilles habitudes qui lui apportèrent gloire, succès et mariage : le film de gangster décalé. Mais le cinéma à formule, ça s’épuise. Ritchie aurait dû le savoir.
L’histoire est toujours la même : des petits malfrats (plutôt sympas) en tentant un coup contre de plus gros malfrats (plutôt pas sympas) vont se retrouver dépassés en plein imbroglio qui mêle guerre de gangs, arnaque immobilière et corruption juridique. Une fois de plus, tout cela n’a pas grande importance, car le film ne tient pas tant du cinéma que de la publicité : tout est là, non pour servir l’histoire, mais pour vanter les qualités de réalisateur de Ritchie, sa marque de fabrique, telle une suite de spots qui promouvraient un même produit. Chaque personnage doit instantanément correspondre à un typage pour fonctionner à vide, chaque choix de mise en scène doit se faire remarquer pour éblouir, chaque enjeu dramatique doit trouver un ton original pour amuser. On met en valeur ce qui a servi à faire le film (la lumière, le montage, les comédiens, etc.) mais jamais le film lui-même. La réalisation devient symptôme et le cinéma n’est plus une fenêtre ouverte sur le monde mais le miroir narcissique qui renvoie l’image auto-satisfaite de son auteur.
Il y a un personnage pour lequel Ritchie manifeste plus d’empathie (soit un peu d’intérêt) que les autres, auquel sa mise en scène s’identifie plus : le fils du big boss mafieux, le fameux « RocknRolla » de l’intrigue. Un jeune rockeur qui s’est exclu du monde en s’isolant dans un univers de drogue et d’alcool mais qui se place comme l’observateur lucide de la médiocrité humaine. Chien fou, plus malin, plus jeune, plus cool, il s’étend en leçons de morale avec le cynisme de celui qui se croit au-dessus des autres. C’est un peu à ça que se résume la posture du cinéaste chez certains réalisateurs en vogue aujourd’hui, au mépris hautain de ceux qui sont persuadés d’être des visionnaires parce qu’ils perçoivent la bassesse de leurs semblables. Jamais la leur. On aurait plutôt tendance à considérer comme bons cinéastes ceux qui, au contraire, parviennent à déceler l’humanité des personnages même les plus abominables (comme Buñuel dans Tristana). Le cinéma demande de l’humilité, pas de l’arrogance. C’est une question d’observation, d’interrogation sur l’objet qu’on observe. Pas de jugement définitif.
C’est le contrecoup de cette esthétique publicitaire qui domine les images contemporaines, bien plus que le cinéma, sa volonté fascisante de contorsionner le monde à son propre idéal, plutôt que de rendre compte de ce qu’il est. Si le cinéma devait n’avoir qu’un but, ce serait de s’opposer à elle formellement, et pas de s’y rallier. On l’aura compris, ce n’est pas la peine de compter sur Guy Ritchie pour mener ce combat avec nous.