Éric et Ramzy, si l’on n’est pas obligé de les détester, permettent assez souvent à la simple vue de leur nom sur une affiche, de prédire le niveau général d’un film. C’est ce que contredisait l’année dernière Steak, de Quentin Dupieux. Cette fois, avec le duo à la réalisation et toujours devant la caméra, Seuls Two force à l’affirmer : il ne s’agissait malheureusement que d’une exception.
Seuls Two naît d’un désir de liberté. Engoncés dans leurs rôles habituels, Éric Judor et Ramzy Bédia voulaient pouvoir mener un projet sans personne pour les brider. Le duo pas vraiment classe, plutôt attachant comme une compensation de n’être pas toujours très drôle, est une sorte de Laurel et Hardy du parlant, dans la manière de se compléter sur la scène. Ramzy le grand gondolé qui semble se tordre sous son propre poids, Éric le petit chauve nerveux dont l’incapacité d’assurer passe par la bouche, bafouilles et mauvais emploi des mots, ce qui les fit connaître. Mais l’usure a trop rapidement guetté, le jeu et les situations caricaturales stagnent. Depuis leur début à la radio, les deux comiques ont enchaînés une suite de navets, à la télé ou au cinéma, qui a achevé de les décrédibiliser.
Mais en 2006 ils tournent Steak, réalisé par Quentin Dupieux. Le réalisateur les transporte dans un monde surréaliste et les sort un peu de leurs habitudes. Sans être un grand film, Steak surprend. Dupieux est un habile meneur qui sait ne pas s’enfermer sur le duo. Les personnages sont tous rendus loufoques par les situations mais dans un monde où bizarre et norme ne font qu’un. Plutôt que drôle, Steak est absolument surprenant, de ses lumières à son scénario, si l’on accepte de ne pas l’attaquer comme une simple comédie.
Dans le dossier de presse de Seuls Two, Éric et Ramzy déclarent qu’après avoir travaillé avec Dupieux, ils ne pouvaient plus jouer comme avant, c’est-à-dire dans des rôles toujours similaires et prédéfinis. L’expérience avait été trop forte pour qu’ils reviennent à leurs cadres classiques. Réaction du duo : réalisons nous-même notre prochain film.
Seuls Two est un vieux projet, une sorte de course poursuite infinie dont les raisons sont secondaires. Ça devait s’appeler Tom et Jérôme, sans doute être assez abstrait, avant que le temps et les rencontres ne remodèlent peu à peu l’histoire initiale. Gervais est un flic minable qui court littéralement après un Arsène Lupin vulgaire, Curtis, qui lui échappe continuellement. La vie semble se résumer à ça mais un beau jour la ville devient déserte. Il ne reste que les deux hommes qui seront forcés de se rapprocher. On ne dévoilera pas ce qui fait disparaître ou non la population, même si cela n’a aucune importance, tout n’étant qu’un prétexte pour laisser libre court à leurs cabotinages. Passons les longues étapes de préparation, les rencontres avec les techniciens, producteurs, réalisateurs éventuels, etc. Le problème étant que le film comporte un nombre conséquent de scènes où l’un, l’autre ou les deux comiques s’agitent dans un Paris totalement désert. Et pas n’importe où : Champs-Élysées, Panthéon, Barbès… En définitive, c’est évidemment impressionnant de voir Ramzy donner corps à des rêves de gosse : dévaliser le Louvre, traverser les Champs en Formule 1, pique-niquer au milieu d’une autoroute… Plus impressionnant encore, les 18 millions d’euros de budget pour quelques scènes à couper le souffle et un film à couper l’envie de le voir. La préparation des fameuses séquences de Paris vide reste bien plus passionnante que le résultat. Des centaines d’hommes bloquant par intermittence les lieux de tournage, postés sur les routes et à chaque entrée de porte pour éviter l’apparition du riverain qui aurait la vilaine idée de sortir dans la rue et gâcher la prise.
Le problème de Seuls Two n’est pas très différent du problème que ressentaient le duo avec d’autres réalisateurs que Dupieux : seuls ils ne sont plus forcés d’obéir, ils sont libres d’agir comme ils le souhaitent mais plus rien ne peut arrêter leurs excès. Faire ce que l’autre veut au risque de se perdre ou faire ce que l’on veut au risque de perdre l’autre… Deux pôles sur lesquels s’échoue une armada d’acteurs qui se propulsent réalisateurs. Seuls Two devient donc en moins d’une demi-heure un champ vide où les agitations hystériques d’Éric (surtout) donnent mal au crâne. L’excès fatigue, très longtemps avant la fin. Et pourtant c’est par cet excès que Seuls Two aurait pu réussir. Dupontel, malgré tout, parvenait dans Enfermés dehors à créer un univers abstrait, agaçant mais d’une certaine richesse. Seuls Two n’atteint même pas ce niveau, perdu entre l’absence de rythme des scènes de poursuites, des longues discussions vaines, et le défilé de pubs pour les magasins des Champs ou autres (il n’y a qu’à voir la Formule 1, très réaliste par le nombre de marques inscrites sur sa carrosserie). Reste à sourire en pensant que peut-être, les agitations du duo dans le vide provoqueront soudain la désertification de certaines salles de cinéma.