Orchestré par le collectif Kourtrajmé et co-produit par Vincent Cassel, Sheitan commence comme un film de jeunes (de banlieue), se poursuit en aventure chez les ploucs et se termine en apothéose gore, sanguinolente et barge à souhait. Malgré quelques clichés, certains dialogues vulgarissimes et des sources d’inspiration parfois trop évidentes, Sheitan est un premier long métrage intrigant, qui réserve ses moments de frayeur et de malaise. Pour un premier film, Kim Chapiron a le mérite d’oser et d’essayer de secouer un peu le cinéma français.
On sent d’emblée, dans cette histoire d’une bande de jeunes s’offrant une petite virée à la campagne et tombant sur des ploucs dégénérés, des influences diverses et variées telles que Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) ou Délivrance (John Boorman, 1972). Kim Chapiron, le réalisateur, fait, lui, volontiers référence aux Chiens de paille de Sam Peckinpah. Au-delà de ces diverses références cinématographiques, c’est surtout dans les délires de l’époque punk, pendant laquelle le père de Kim Chapiron, Kiki Picasso, officiait lui aussi dans un collectif d’artistes, que le jeune réalisateur puise son inspiration. Et si le début du film, drague et picole dans une boîte de nuit, laisse augurer du pire, le délire du film commence vraiment avec la virée en voiture. Après le vol de provisions bien cliché dans une station essence, direction la campagne, où Eve (Roxane Mesquida, ensorceleuse), propose à ses quatre nouveaux amis d’aller continuer la fête dans la maison de ses parents.
Le film entre alors dans l’une de ses parties les plus intéressantes. En effet, le spectateur, pas plus que les personnages, ne sait où il est tombé. On se dit alors que tout peut arriver. Comme de voir débarquer un Vincent Cassel hallucinant, démarche bourrue, regard bovin, voix d’abruti. Il incarne un Joseph limite psychopathe à mourir de rire et en même temps absolument flippant. Kim Chapiron installe alors une ambiance étrange, malsaine. Les procédés cinématographiques qu’il utilise sont plus ou moins réussis. Ainsi, les plans adoptant un point de vue extérieur, caché derrière des branchages, comme si quelqu’un observait en secret le petit groupe, ne sont pas très originaux. En revanche, la visite de la maison, grande bâtisse lugubre remplie de poupées désarticulées (le père d’Eve tient un magasin de poupées), la petite musique de conte — qui tranche par ailleurs avec les morceaux de rap parfois extrêmement violents de la bande-son — ainsi que les jeux sur les hors-champs, apportent au film une étrangeté mêlée de candeur plutôt réussie.
Sheitan explore également les contrées périlleuses du film d’angoisse, virant même au film d’horreur. Qui est la femme de Joseph ? Pourquoi ne la voit-on jamais ? Est-elle réellement enceinte ? Si tel est le cas, pourquoi parle-t-elle à une poupée en l’appelant « mon bébé » ? Toute cette partie de l’intrigue réserve son lot de frayeurs et de passages bien sanglants. Kim Chapiron a en fait l’habileté de mélanger une violence physique, viscérale et une angoisse plus psychologique. Lors de la baignade dans la grotte chaude, par exemple, entre le petit attardé et Jeanne, interprétée par une Julie-Marie Parmentier au jeu habituellement plus intérieur, sangsue lubrique qui arrache jusqu’au sang une poignée de cheveux au pauvre Bart en éclatant de rire, on nage en plein délire et en pleine angoisse.
Tout n’est pas réussi, car s’attaquer à un film de genre est un pari risqué. Néanmoins, Kim Chapiron a le mérite de se lancer, sans prétention. S’il explique que son film est bourré d’actes gratuits, mais qu’il n’est pas là pour les justifier, ce n’est assurément pas pour se dédouaner, mais bien parce qu’il cherchait avant tout à se faire plaisir. « Sheitan, c’est mon petit attentat cinématographique dans un monde où les gens dorment, où tout est mou, où on s’ennuie. C’est un peu un bordel sympathique. », dit-il. C’est donc ainsi qu’il faut prendre Sheitan : un film qui ne se prend pas au sérieux et qui nous embarque dans son délire. C’est la condition sine qua non pour rentrer dans son univers et ne pas se laisser décontenancer par ses bizarreries.