Ils sont quand même très méchants ces Américains. Non contents d’assassiner des villages entiers en Afrique noire, ils tentent de compromettre un tireur d’élite en retraite qui peste contre les mensonges de l’État. On ne reviendra pas sur le projet, louable, de montrer une nouvelle fois les ficelles machiavéliques du FBI et de la CIA en temps de guerre. Mais la critique américaine est bien trop ancrée dans les clichés américains ‑héroïsme, patriotisme, romance à l’eau de rose- pour être crédible. Un coup de sniper dans l’eau.
Un film sur les opérations américaines de « maintien de la paix » ? Pourquoi pas ? On s’attend à un déferlement de critiques, de rancœurs de mauvaise foi, de dénonciation politiquement incorrect. On a tort. Dès les premières minutes, Antoine Fuqua nous berce de bruits incessants, d’images coup de poing où le cadre ne sert visiblement qu’à provoquer l’œil bien plus qu’à le faire entrer dans une construction visuelle. Heureusement, la scène d’ouverture, une fusillade en Éthiopie, ne dure « que » vingt minutes. Et là, surprise, qui sort du chapeau du réalisateur de la bande-annonce d’Esprits rebelles (chef d’œuvre dégoulinant sur la délinquance pour les plus jeunes) ? On vous le donne en mille : un sniper retraité qui vit au milieu des montagnes avec son fidèle compagnon, un chien magnifique qui répond à toutes ses demandes, d’affection ou de canettes de bières.
Bob Lee Swagger est un déçu de l’armée : son meilleur ami a été tué, son état-major l’a laissé en plan durant une opération, et il passe à présent son temps sur Internet pour pester sur tous les mensonges qui entourent la guerre en Irak. Mais les méchants n’ont pas dit leur dernier mot et viennent le chercher pour une dernière mission qui se révélera être un guet-apens. Antoine Fuqua n’est pas Oliver Stone et ne tombera jamais dans le patriotisme totalement aveugle. Sur le fond, il reste en fait assez neutre, il se contente de quelques phrases de critique minime et peu intéressante. Mais, sur la forme, il reprend absolument tous les caciques du cinéma d’action pompeux et pompant : la musique à la sous-Vangelis dans un volume sonore souvent insupportable, les ralentis multipliés qui finissent par faire de Shooter un simple montage de morceaux de bravoure peu inspirés. Bob sait qu’on lui ment, mais il aime sa patrie. Au lieu de nous montrer un héros en manque de repères, en quête de réelle justice, ou capable de faire autre chose que sortir son fusil et ses bombes au napalm pour arriver à ses fins, Fuqua met en scène un personnage tout ce qu’il y a de plus rebattu. À critique américaine, réponse purement américaine. Un peu comme un Val Kilmer connaisseur en explosifs, Mark Wahlberg fait le dur pendant deux heures sans qu’on ne remarque une quelconque différence dans ses expressions ou son jeu avec un téléfilm de M6 un jeudi soir à 23h.
On assiste en fait, malgré quelques dialogues de dénonciation (et encore) et des grands méchants au FBI, à une glorification totale des valeurs américaines : le président trempe dans certaines affaires mais pas directement, et finalement, sera blanchi par son absence ; Bob Lee gagne parce qu’il est patriote et a utilisé la méthode de ses adversaires (la violence). Il aime son pays, et son chien en somme. Comme dans tout film d’action qui se respecte, le manichéisme est là pour apporter une petite touche d’originalité scénaristique : l’armée est donc emplie de pourris, le très méchant à la retraite est russe, et l’Afrique noire, comme dans Blood Diamond ou Goodbye Bafana, n’est qu’un prétexte d’ouverture, jamais le support d’une réelle réflexion.
Beaucoup de bruit (pour rien), beaucoup d’images choc, peu de finesse, et une curieuse façon de mettre en scène une dénonciation politique en portant aux nues l’honneur national. Antoine Fuqua se gausse lui-même de sa réussite : « Le résultat a du souffle, du punch, et je pense aussi que mon film donne à réfléchir », dit-il. Ah bon ? En quoi ?