Ce premier film équatorien à sortir en France a connu un succès hors norme dans son pays : presque une demi-année à l’affiche et 200 000 spectateurs. Il faut d’abord se féliciter que Si loin, produit en 2006, puisse être vu sur nos écrans et que le cinéma continue de jouer son rôle de fenêtre sur le monde. La rencontre de la touriste espagnole Esperanza (Espoir) et de l’étudiante équatorienne qui se fait appeler Tristeza (Tristesse) est ici le prétexte d’un road-movie qui est aussi une radiographie socio-politique de l’Équateur. Film sobre, sincère et touchant, on aurait toutefois préféré que simplicité y rime moins avec naïveté.
Si loin est bâti sur une forte opposition, quant à leur caractère et objectifs, entre les deux protagonistes. Esperanza, affublée du sac à dos de la routarde sympa, débarque d’Espagne dans un aéroport aseptisé. Elle personnifie l’avidité touristique en terme d’images, de rencontres et de découvertes. C’est d’ailleurs une sorte de professionnelle puisqu’elle travaille dans ce secteur. Tristeza, une étudiante locale, donc issue d’une classe sociale plutôt favorisée, n’est pas tout à fait dans les mêmes dispositions : c’est le gros chagrin d’amour. Pour des raisons donc bien différentes, elles se retrouvent, par la puissance des forces du hasard, côté à côté dans un bus qui les mène pour l’une vers le lointain fantasmé, pour l’autre vers l’objet de son désarroi. Esperanza est un vrai moulin à parole, Tristeza, toute acquise à l’austérité de sa peine, lui refourgue un bouquin dans les mains pour pouvoir broyer du noir en paix.
On l’aura compris, la rencontre et le déplacement, selon un arc narratif classique, vont agir en révélateur. Et dans ce trajet préconçu vers Cuenda, la route n’est pas droite, celle entre les êtres non plus. C’est la réalité socio-politique qui fait dévier les trajectoires. Grève des indiens, hausse du prix du gaz, barrages routiers, démission du président et pressions exercée par l’armée : l’Équateur est en proie au plus total désordre. Tout ceci n’est pas reconstitué, mais volontairement maintenu hors-champ, car l’objet de Tania Hermida est de dresser un portrait collectif à partir de l’individu et de l’intime : « le pays s’écroule et on boit de la pina colada » dira Tristeza. Les personnages et les lieux sont présentés par la froide caractérisation, en voix-off, du pedigree, selon les cas, social, historique et familial. Cet itinéraire bis imposé est l’occasion de rencontres, notamment d’un certain Jesus qui passe par là. Ce dernier joue les philosophes mariage-conseil et le rôle de gardien de la mémoire des lieux et des luttes. Ce chemin de traverse entraîne, à partir d’une situation narrative et d’un genre éculés, une forme de dilution des quêtes des protagonistes, plus en suspens que tendus vers un objet bien déterminé.
La cinéaste s’attache avec beaucoup de volontarisme à éviter « l’effet carte postale » de ce pays sans doute magnifique par ce que l’on peut en percevoir. Cela pour mieux esquisser par petites touches graves et légères, en faisant appel à l’ironie, ce fameux portrait. On évoque les frontières intérieures (linguistiques, économiques, raciales), les rapports Nord-Sud ainsi que les blessures de la colonisation espagnole. Mais cela, malgré les précautions, non sans flirter avec une forme de didactisme où les mots ont tendance à prendre le pas sur l’image. Mais il faut rendre justice à la cinéaste qui évite la tendance à la folklorisation et la complaisance pour la dignité du « Tiers Monde ». Une (bonne) idée aurait été à creuser, ou à mieux exploiter, en la relation d’Esperanza avec son caméscope, c’est à dire une figure de médiation entre le regard touristique et le réel. Cette dernière s’émeut d’abord d’avoir manqué de fameux volcans indiqués par son guide. Peu à peu, elle s’affranchit de ce regard captif propre au « touristicus errans » et elle finit par enregistrer des morceaux de réel ou tout simplement à les regarder sans filtre. Mais cela est mené malheureusement là encore de manière un peu forcée et démonstrative.