Avec ce cinquième long-métrage, l’Écossais Paul McGuigan poursuit une filmographie versatile (citons Gangster No 1 (2001) et le thriller romantique Rencontre à Wicker Park (2005)) caractérisée par un formalisme forcené, peut-être hérité de son expérience de photographe de mode. Outre sa propension à triturer les images de diverses façons et plus ou moins gratuitement, une des constantes de ses films est le recours fréquent aux flash-backs, parfois d’un seul plan court. Sur ce dernier point, Slevin lui permet de s’en donner à cœur joie. Sur le thème classique du « faux coupable », le film suit les pas d’un brave garçon qui, à peine débarqué en ville, est pris pour un autre et se retrouve plongé dans un sac d’embrouilles, à la fois cible d’un tueur à gages redoutable et débiteur des parrains de deux clans mafieux rivaux. Voilà le fil conducteur, déjà bien alambiqué, d’un récit qui, partant de la simplicité du film de genre, va prendre plaisir à déranger sa propre linéarité par des mises en abyme — tantôt flash-backs, tantôt scènes en apparence détachées de la trame principale.
« Ataraxie »
Ce vagabondage du récit pourrait s’annoncer captivant si celui-ci ne se montrait pas aussi affecté, aussi désireux de s’afficher cool et décalé. Les personnages posent tous, y compris le héros malchanceux, dans une attitude détachée ou hiératique. Les dialogues se veulent intelligents, mais ne sont souvent que verbeux et proches du pédantisme : ça cherche la petite bête sur des détails souvent futiles ; ça traîne en longueur jusqu’à faire répéter certaines répliques ; ça cause sur James Bond et les bandes dessinées ; ça excuse son impassibilité en invoquant le concept philosophique d’ataraxie… Une préciosité qui, au passage, trahit l’influence de certains films de Tarantino, notamment Kill Bill. Pour ajouter à la sophistication d’un scénario soucieux de déployer une mécanique complexe où tout serait lié, sa dernière partie révèle des connexions alambiquées et parfois non nécessaires entre les personnages. La virtuosité de l’ensemble paraît d’autant plus vaine qu’elle aboutit à une conclusion calquée sur un autre film réputé — que nous ne nommerons pas ici…
La mise en scène épouse totalement le côté clinquant et frimeur du récit. Paul McGuigan insère ses habituelles saillies stylistiques plus ou moins gratuites (tel le filmage de deux joueurs d’échecs en gros plan à travers un échiquier transparent). La direction artistique lorgne vers les Seventies, comme pour se référer aux films de genre urbains de cette époque — et de nouveau, on se rappelle Kill Bill et sa déférence envers les films de genre asiatiques. Surtout, le réalisateur illustre fidèlement les allers-retours de l’intrigue par l’utilisation intensive de flash-backs, dont la plupart sont des redites de scènes antérieures. Là résident l’astuce — la tricherie ? — et la limite de Slevin. Certaines scènes du début sont cadrées de façon à laisser hors champ des détails, des visages. Le film se passe, laissant en apparence ces scènes en suspens. Et puis, la fin aligne une succession de flash-backs de ces scènes, cadrés de sorte que ces détails et ces visages soient visibles, révélant le nœud de l’affaire.
« Pas invité à jouer »
Cette utilisation du flash-back pour induire en erreur hérite directement du flash-back mensonger du Grand Alibi de Hitchcock — lequel regretta plus tard cette « malhonnêteté ». Mais au moins cette ruse avait-elle le mérite d’induire une réflexion sur la véracité des images. Slevin n’a pas cette excuse, n’existant que pour mettre en valeur ses retournements ultimes comme gages de virtuosité narrative, comme le montre l’accumulation presque absurde, dans les vingt dernières minutes, de ces flash-backs recadrés. Aucune place n’est laissée à la réflexion sur ce qui se passe à l’écran. Face à ce jeu d’éclatement et de reconstruction du récit, le spectateur n’est pas invité à jouer, mais pris comme un cobaye qu’il faut séduire et endormir — par l’histoire, le style visuel, l’ambiance Seventies, la cool attitude — avant de le frapper de stupeur par les coups de théâtre finaux, sans le laisser tirer de ce qu’il voit autre chose qu’une vision immédiate et réductrice. Ce qui, ironiquement, révèle la courte vue des auteurs eux-mêmes… Cette autosatisfaction puérile de conteur fier de sa prose, McGuigan l’exhibe jusqu’à l’absurde, en surlignant chaque geste plus ou moins important par un plan flash-back explicatif, parfois tautologique en appuyant une information déjà suggérée auparavant, comme si les idiots que nous étions ne pouvions pas faire les connexions tout seuls…
Slevin ne s’avère rien d’autre qu’un film de genre aux influences mal digérées et qui, en recherchant la supériorité intellectuelle, finit par ne révéler que sa vanité.