Après Moro No Brasil, Mika Kaurismäki, frère aîné d’Aki, orchestre un documentaire musical, sorte de voyage aux rythmes des percussions du musicien panaméen Billy Cobham. De concert, les maestros célèbrent la musique et le rythme en visitant plusieurs endroits de la planète, à la rencontre de l’humain.
Le postulat est élémentaire mais non exhaustif : en quoi le rythme fait l’homme, et l’homme fait le rythme ? Le documentaire s’annonce comme le portrait de Billy Cobham, célèbre batteur de jazz fusion ayant accompagné notamment Miles Davis. Or, le musicien est davantage un guide, à l’initiative des différents projets musicaux qui composent le film.
En effet, la partition cinématographique mêle trois situations : le concert d’un Big Band professionnel en Finlande, des élèves musiciens de la communauté noire de « Bloco Malê Debalê » au Brésil, et les patients d’un centre pratiquant la musicothérapie en Suisse. Mika Kaurismäki s’est donc posé trois fois la question : Comment filmer la musique ? Comment rendre compte de l’éphémère ? Avec cohérence et subtilité, le documentariste présente trois types de mise en scène. Le live en Finlande se caractérise par une grande maîtrise technique avec la sensation d’une caméra omnisciente pouvant devancer la musique, tandis que la séquence au Brésil relève davantage du « cinéma vérité ». « À Bahia, on ne vient pas au monde, on entre en scène » : tel un Jean Rouch en terres brésiliennes, Mika Kaurismäki arpente les quartiers pauvres et remonte les origines africaines de la communauté. Sans jamais nous emmener sur le continent africain, il traite en sous texte de l’esclavage et de l’héritage de la tradition philosophie Yoruba. Pour les habitants, la musique, quotidienne et salvatrice, offre l’espoir de la réussite sociale. Dans le centre pour autistes, la démarche du cinéaste est distincte. L’immersion consiste à saisir les événements à point, à cueillir l’instant cinéma dans le brouillon de réalité. Dans ce cas, il s’agit d’écrire directement avec la caméra, qui après avoir été anticipatrice, devient intuitive.
Ce qui au départ ressemblait à un mélange arbitraire, prend sens au fil de la narration. Si autisme et pauvreté sont convoqués, Mika Kaurismäki ne se perd jamais dans un effet misérabiliste. C’est peut être grâce à la ténacité de son fil rouge, sa « petite musique », qu’il fait les choix nécessaires pour ne pas rompre le jeu musical des séquences qui se répondent entre elles. La musique est donc le protagoniste désincarné du film. Elle a pour avatars les tocs des jeunes autistes sublimés en gestes musicaux, le sourire et la sueur des enfants musiciens, la vitesse des baguettes floues de Billy Cobham… Autant d’images que de points de vue, de points d’écoute.
Au delà de la mélodie, au-delà du musicien : Sonic Mirror désigne le rythme comme élément de base des sociétés humaines. Ainsi, on découvre que les autistes du centre suisse communiquent à l’aide de plateaux alphabétique en bois sur lesquels ils composent les mots qu’ils ne peuvent prononcer. Le contact de leurs doigts avec le matériau est sonore, leurs mots sont rythmes, leurs phrases deviennent musicales. Le cinéma se présente comme médium optimal pour retranscrire ses situations réelles inédites, Il montre et rapproche. Par le montage notamment, très abouti, aux transitions virtuoses mais aussi par la bande son qui sert de liant.
Il est d’ailleurs rare de mesurer à ce point l’exploitation des ressources sonores d’un film. Des nappes bercent incessamment le documentaire, même pendant les interviews, jusqu’à rendre compte de notre musique interne : les battements du cœur. Le son direct est de grande qualité, en ces temps où l’on privilégie l’image sur les tournages, il densifie le corps filmique. La bande son parvient à « travailler » l’image : Mika Kaurismäki expérimente la musicalité de la lumière avec les scintillements du soleil dans une belle scène d’improvisation musicale sur le capot d’une voiture. De même, la scène finale, primaire et cathartique, est magnifique. L’expression de la joie sur les visages devient la preuve humaniste du pouvoir du cinéma.
Mika Kaurismäki filme avec générosité : le son s’émet et se réceptionne, tout comme un film se réalise et se regarde ; Sonic Mirror est aussi le miroir altruiste du donner et du recevoir. À la question : qu’est ce que le miroir du son ? Le film répond la danse, parce qu’elle est une réaction visuelle au son. La danse c’est le corps en mouvement, le mouvement c’est aussi la qualité inhérente du cinéma. Et la musique ? « C’est une bête sauvage. »