Vinterberg revient… de nouveau. Recherchant la grâce comme le noyé l’oxygène, Submarino et son réalisateur sombrent infailliblement dans une certaine inflation tragique, qui peut toucher, sans atteindre vraiment.
Il y a douze ans, Festen, film-choc d’un réalisateur de 29 ans, marquait le débarquement en salles (et l’apogée) de ce singulier mouvement, un brin poseur, que fut le Dogme95. Depuis cette entreprise d’ascèse codifiée (rarement respectée à la lettre, et qui passa parfois pour un semi-canular), von Trier et consorts ont balancé leur manifeste et sont passés à autre chose, pour le meilleur et pour le médiocre. Le jeune prodige et co-fondateur du mouvement Thomas Vinterberg a, lui, entre expériences US qu’on qualifiera aimablement de tentatives inabouties et retour au pays en catimini, nettement perdu de sa superbe. Sa dernière œuvre, drame fraternel à sous-munitions lacrymales tiré du livre d’un jeune auteur, s’offre comme une nouvelle tentative pour la reconquérir.
Back to (family) business, donc. Soit l’histoire en deux mouvements de frères qui vivent séparés dans la même ville, sans parvenir à se retrouver, après qu’un drame est venu assombrir la seule clarté qui illuminait leur enfance sordide. De drames, d’ailleurs, le film n’en manque pas. Tout y est. «~Je recherche toujours à susciter la compassion~», affirme le réalisateur, et on comprend assez vite que ce n’est pas une affirmation gratuite. Passé l’ouverture, Submarino, qui n’y trouve pas forcément son équilibre, suit d’abord l’aîné, récemment libéré, brute taciturne qui enfouit sous de mâles attitudes une douleur inconsolable, puis le cadet, veuf dégingandé et toxicomane qui tente d’élever avec dignité son fils adoré, tout en vivant d’expédients, de larcins, et en se planquant dans les toilettes lorsque l’heure du shoot est venue. Se joignent au panorama un copain obsédé-puceau-passablement-taré tendance Lennie dans Des souris et des hommes, une jeune mère pas farouche (on dit MILF aujourd’hui) qui a perdu la garde de son fils, et quelques autres pas beaucoup mieux lotis, le tout sous une lumière crue et froide, sur fond de foyer social et de quartiers prolétaires copenhaguois salement déprimants.
On ne fera pas ici l’inventaire des funestes événements qui s’amoncellent sur ces désespérés, mais dire que l’espoir tarde à poindre est un euphémisme. Le titre du film renvoie d’ailleurs à cette forme de torture par l’eau qui consiste à faire suffoquer le supplicié, lequel pense se noyer (Dick Cheney approved). Sous le niveau de la mer, Vinterberg se pose en Umberto Pellizzari du drame familial et social, enfonçant toujours plus loin sous l’eau la tête des personnages. Il faudrait être méchamment blasé pour ne pas se montrer sensible aux tragédies qui se nouent et broient ces êtres. Tandis que Submarino déverse son – invraisemblable ? – torrent de catastrophes, par instants, oui, on se dit que grâce et rédemption vont émerger du flot impitoyable qui emporte les naufragés ; mais le tout finit par devenir pesant, emphatique, parce que le traitement ne donne pas dans la subtilité, et que le film semble suivre le cours inéluctable et attendu de drames déjà écrits, déjà vus, voire d’un tragique scandinave dont la mécanique se ferait vaine, tant ce vers quoi il mène semble être moins l’accomplissement d’une fatalité implacable que de la volonté d’un réalisateur de « susciter la compassion » (ce qui pourrait nous rapprocher de la tragédie, mais n’est pas ici soumis à de plus vastes visées).
Prenons l’ouverture, et cette scène de baptême qui encadre l’œuvre, belle, céleste, saillant sur la grisaille. L’histoire de ces deux enfants, la pureté de leur amour mise en regard de cet environnement infect a quelque chose de l’élévation recherchée, de la colombe nichée sur le tas de fumier (oui, le blanc comme symbole de pureté, ça ne va pas bouleverser la symbologie moderne, mais ça se pose là, quand même). Survient la mère alcoolique, qui en fait des tonnes question borborygmes et démarche chancelante, tel un éléphant cirrhotique dans une boutique de porcelaine… Les alcooliques sont ce qu’ils sont, et le reste est plutôt bien senti, mais on peut trouver soudain la main du réalisateur un peu lourde. Voici le blason du film : une aspiration à la grâce sans cesse contrariée par un surlignement pataud. Étrange comme ce qu’on passe parfois à d’autres frappe ici comme une imperfection. Cela tient sans doute un peu de cela, la grâce, de donner à voir ce qui a été vu cent fois, et pourtant de toucher à l’os des misères humaines, et à la chair du spectateur. Peu à peu se développe une nostalgie de ce qu’aurait pu être le film, des films qu’il contient, et l’on se dit qu’on aurait volontiers suivi ce duo d’enfants ; ou ce frère qui n’est pas nommé, et uniquement lui, son parcours un peu plus inédit ; on se dit enfin que Submarino n’est certes pas un mauvais film, mais qu’il a le tort d’enfiler ces histoires comme des perles, de les empiler sans que ces réécritures révèlent une vision puissante qui les fédère.
Les acteurs ne déméritent pas, mais ils sont partie de ce vice de fabrication, et surincarnent régulièrement leurs personnages ; Nick est une brute, alors son interprète traverse le film en roulant très ostensiblement des épaules. La dimension sociale est à la fois omniprésente et sans réel impact, comme si les deux frères appartenaient de toute façon à cette catégorie d’êtres auxquels le malheur vient naturellement ; le déterminisme qui les courbe est comme laissé à l’état de figure imposée de la misère. Une esthétique picturalement plutôt réussie ne suffit pas à donner à cette souricière aux multiples ressorts l’ampleur d’une tragédie humaine. Submarino est une œuvre étonnamment convenue, lestée, monochrome, et s’il est en définitive naturel que tout y soit assez prévisible, c’est le propre d’une tragédie de faire en sorte que le spectateur ne s’en souvienne pleinement qu’à l’acte final.
La rédemption de Vinterberg attendra donc encore un peu ; son cinéma a des faux-airs de convalescent. Au bout du compte, ce climat copenhagois permet toutefois d’évoquer le premier Pusher, sorti en 1996. Nicolas Winding Refn n’incarnait-il pas déjà le renouveau qu’éclipsa ensuite Festen chez nos amis danois ? Au vu des dernières productions des deux hommes, qui ont quasiment le même âge, la question devient rhétorique ; et l’on se souviendra que l’un des préceptes du Dogme (même si ses concepteurs ne se sont pas privés de contourner les règles) consistait à refuser le film de genre, quand l’auteur de Valhalla Rising a grandi avec. De là à se faire dogmatique…