Pour son premier long-métrage de fiction, le documentariste Jean-Xavier de Lestrade, spécialiste de l’univers carcéral, rate son essai. Si ses intentions sont honorables, ainsi que ses tentatives de réflexion sur la sortie de prison et la rédemption, l’œuvre s’enferme trop rapidement dans un pathos des plus agaçants. Elle est surtout desservie par un casting fade qui n’arrive pas à transfigurer des personnages caricaturaux.
Cette première œuvre de fiction du documentariste Jean-Xavier de Lestrade nous conte l’histoire de Julien – Robinson Stévenin –, jeune homme qui a passé treize ans de sa vie en prison suite au meurtre inexplicable de ses parents. Dehors, il cherche à renouer contact avec sa sœur, Émilie – Fanny Valette –, afin de trouver une certaine rédemption. Ce synopsis aurait pu donner une œuvre intéressante sur la difficile réinsertion des jeunes criminels, avec un questionnement sur l’après prison, le regard des autres et de la société. Xavier de Lestrade est d’ailleurs connu, en tant que documentariste, comme spécialiste des questions liées à la justice et au carcéral – il a été oscarisé pour Un coupable idéal, bien que cela ne soit pas un gage de qualité. L’implication de l’auteur dans ces univers pouvait ainsi laisser présager un film de fiction au notes réalistes et au discours pertinent.
Par certains aspects, le film semble réussi, car Lestrade n’est pas dans l’explication de l’acte de Julien ; il ne cherche jamais à justifier son crime qui résulte d’une psychologie enfantine complexe. L’auteur cherche aussi à dépeindre un monde libre qui est lui-même prison, puisqu’il soumet le « héros » à des contraintes semblables à l’incarcération. La réinsertion est alors impossible. Comme Baudrillard le disait si bien dans Simulacre et simulation, si les prisons existent ce n’est que pour nous faire croire que le monde dans lequel nous vivons est libre. C’est la société tout entière qui en réalité carcérale. Julien est alors tragiquement destiné à se mettre à mort puisque la société ne veut plus de lui. Le réalisateur fait également preuve de bonnes idées en ce qui concerne la représentation de son personnage principal : il se réfère à une imagerie expressionniste intéressante en faisant de Julien un être fantomatique proche du Nosferatu de Murnau. Le teint livide, se contemplant constamment dans des miroirs dont il refuse le reflet, le jeune homme cherche à se nourrir de la pureté d’esprit de sa sœur. Il la traque et la suit comme un spectre, afin d’obtenir son pardon.
Ces quelques points positifs ne permettent pas de sauver un film raté en terme d’esthétique comme de discours. Le premier problème de Sur ta joue ennemie résulte de la construction caricaturale des personnages et de sa piètre interprétation : Julien n’est pas un individu lambda puisque son statut de docteur en philosophie respectable, permet de signifier son intelligence supérieure, indigne du meurtrier qu’il est…Nous sommes alors en présence de quelque chose qui relève du jugement moral et social, ce qui est assez déplaisant, d’autant plus que la fadeur de Robinson Stévenin ne permet pas de sauver le personnage. La sœur, en pleine perdition, cherche à se détruire en allant boire des coups, se droguer et danser à fond en boîte. Fanny Valette, toute en excentricité, n’aide pas à transfigurer ce rôle dénué de toutes nuances. On n’oubliera pas l’ex-taulard et ami de Julien, Bob, qui, habillé d’un perfecto rouge, a sûrement pour fonction scénaristique de figurer le démoniaque… Nicolas Giraud, déjà peu naturel dans Comme une étoile dans la nuit, surjoue avec un talent rare dans ce rôle, ce qui n’arrange pas les choses. Les acteurs principaux sont mauvais, mais il faut tout de même souligner que l’indigence du scénario et des dialogues du film ne les aident pas à livrer de bonnes prestations. Feignons alors l’indulgence.
La mise en scène du film selon les dires de l’auteur relève de la simplicité et de l’épure avec comme référence Tarkovski – référence souvent citée et souvent mal digérée – qui parlait d’une « simplicité sans artifices ». Très bel hommage, mais malheureusement ces belles paroles donnent lieu dans les faits à une mise en scène plate ; nous sommes à des années-lumière de la maîtrise formelle et de la belle métaphysique du génie russe : le filmage, à part quelques idées sur la figure du reflet, est tout bonnement télévisuel par son absence de profondeur et son accumulation de plans serrés que ne renierait pas la petite lucarne. On pourrait penser à une figuration de l’étouffement de l’individu, prisonnier du plan et de sa condition, mais cela serait allé trop loin dans l’analyse lorsque l’on constate la volonté incessante de l’auteur de faire baigner son œuvre dans un pathos déplacé. À titre d’exemple, Émilie ne cesse d’accuser et de torturer son frère en lui passant inlassablement des extraits de films de famille qui nous montrent avec angélisme le père et la mère assassinés. Le spectateur est alors pris en otage et doit supporter ces images d’une grande vulgarité filmique qui jouent avec le drame et nos émotions. Et comme souvent chez les réalisateurs qui ne maîtrisent pas leur mise en scène, une musique redondante vient appuyer le trait avec une lourdeur insultante pour le spectateur. Le film devient alors rapidement agaçant, notamment lorsque Lestrade nous inflige une chanson enfantine consternante – un élément clé du métrage – censée faire ressentir au spectateur – ou plutôt lui tirer la larme – l’ampleur de la tragédie. C’est raté car grossier dans son principe ; l’auteur fier de sa trouvaille scénaristique, en rajoute même en concluant son métrage par ce morceau. On ne conseillera pas ce film aux amoureux de la finesse, de la retenue et de l’intelligence de mise en scène.