L’héroïne écartelée de The East est l’employée douée d’une agence de détectives spécialisée dans la clientèle de grosses sociétés. Elle est envoyée sur les routes pour s’infiltrer dans un mystérieux groupuscule éco-terroriste responsable d’actions spectaculaires (qu’il relaie lui-même pour contourner l’opacité médiatique) contre les dirigeants de compagnies peu scrupuleuses. C’est presque sans surprise que The East commence par séduire en narrant les techniques d’infiltration pas idiotes de son espionne pleine de ressources sans être James Bond, avec errance patiente en évitant les mots de trop, déguisement, camouflage (avec capuche sur la tête en sus) et téléphone avec fonction vidéo dissimulé dans une semelle de basket. On est encore moins surpris — et c’est plus triste — de voir le film s’éroder dès qu’il s’agit d’entrer dans le vif du sujet (après une image sur-signifiante de traversée d’un bois à la lueur d’une lanterne, symbole de passage dans un autre monde) : le grand écart fragile de l’héroïne entre deux idéologies (libéralisme versus altermondialisme, dilemme guère original) ; l’ambiguïté qui en découle, politique (le but des activistes sonne juste, mais la fin justifie-t-elle les moyens ?) et sentimentale (il faut bien sûr qu’elle en pince pour un membre du groupe, en l’occurrence le chef, mi-visionnaire mi-gourou).
The East patauge un peu pour trouver dans son personnage principal une image pleinement convaincante de son mouvement de balancier idéologique, mais son problème est plus large. Il échoue à incarner cette remise en cause personnelle et collective en usant des deux fibres censées le sous-tendre, sentimentale et politique, les deux ne pouvant coexister sans que l’une serve de pis-aller artificiel à l’autre. La fin du film s’en ressent, trop abrupte, trop facile et encore enfoncée par l’esthétique tape-à-l’œil du générique qui en articule les dernières images. Mais une scène antérieure en a déjà martelé les limites : un des patrons auxquels s’attaque le groupe n’est autre que le père d’une des activistes, ce qui donne lieu à une pénible scène de règlement de comptes familial conclue par une ridicule pose de rédemption du paternel capitaliste soudain revenu à la conscience.
Compromissions
Pour être honnête, on n’aura jamais vraiment cru à l’éventualité d’un miracle de récit sortant de la norme. Difficile de nourrir de tels espoirs devant ce spectacle d’une subversion sommairement articulée par l’écriture démonstrative, aussitôt lissée par un certain académisme de la mise en scène où tout dans l’usage du montage alterné, de la musique, des signaux visuels bien lisibles (la lanterne, la capuche…) vise à donner de cette subversion une image acceptable, soignée. La bonne facture du travail est ici un objectif qui entrave celui, hypothétique, d’une ouverture à des remises en question.
Le statut de production du film lui-même n’y est sans doute pas étranger. Affichant des moyens bien inférieurs à celui d’un blockbuster, mais distribué par Fox Searchlight, la branche indie du grand studio, et coproduit par la société de Ridley Scott, The East, film indépendant au sens le moins indépendant du terme (aussi indépendant que Juno, en somme — l’irritante Ellen Page est d’ailleurs de la partie), porte la marque des compromissions qui ont certainement présidé à son élaboration et à sa distribution. Pourtant, une présence intrigante du film pouvait faire augurer d’un supplément d’intérêt : celle de Brit Marling, coscénariste, coproductrice et actrice principale, en qui on avait la tentation de voir l’égérie d’un cinéma de genre américain qui n’aurait besoin ni de dizaines de millions de dollars ni d’accessibilité à tout public. Après tout, ces postes-là, elle les a déjà tenus auparavant, dans un autre film de genre indépendant : le film de science-fiction Another Earth, déjà distribué par Fox Searchlight, mais qu’on est pourtant en droit de trouver plus audacieux que le présent polar trop précautionneux dans sa marche à suivre.