Lorsqu’un talentueux réalisateur de série télévisée décide de passer au cinéma, cela donne The Good Girl, film inégal mais touchant, dont le charme prévaut essentiellement par la présence de la surprenante et mélancolique Jennifer Aniston.
Auteur associé du hautement réputé Six Feet Under, Miguel Arteta décide de mettre à profit l’acuité de son regard afin de dresser le portrait d’une trentenaire exigeante et rêveuse, terrée dans une petite ville pommée du Texas où suinte à chaque coin de rue les douloureuses représentations de la médiocrité humaine. Affublée d’un mari abruti par l’ennui et le shit, Justine rêve d’un enfant qui ne vient pas. Elle tourne finalement son espoir vers Holden, jeune écrivain en herbe et accessoirement, caissier immature et clairement dépressif.
Beaucoup iront comparer le parti pris de l’œuvre à celui de Gustave Flaubert et Madame Bovary. Pourtant, mieux vaut se garder ici de toute association inutile. The Good Girl s’inscrit avant tout dans une nouvelle dialectique du cinéma indépendant américain. Le film de Miguel Arteta joue sur le même terrain que d’autres long-métrages remarqués ces dernières années. Entre la filmographie des frères Coen, Boys Don’t Cry de Kimberly Peirce et Ghost World de Terry Zwigoff, The Good Girl est une réflexion sur l’envers du décorum américain, un modèle depuis longtemps perdu de vue.
Le scénario nous dévoile autant ses limites – celles d’un drame balisé sur le thème inépuisable d’une vie ratée et de l’ultime choix à prendre pour la réussir – qu’il nous en montre une nouvelle force. En effet, ce qui nous touche, c’est la solitude, l’isolement insurmontable, l’humble questionnement sur la nécessité de survivre. En revanche, chez Flaubert, on nous parle avant tout d’une vie rêvée, idéalisée, inaccessible, essentiellement axée sur le matériel et le repositionnement social.
Se pose à Justine le choix, le même que Francesca dans Sur la route de Madison : celui de quitter son mari afin d’assumer une passion attendue depuis toujours, ou celui de continuer à se débattre dans une réalité qui ne lui appartient plus. Si la scène finale est un évident clin d’œil au chef d’œuvre de Clint Eastwood, le drame de Justine semble incomparable, plus insupportable encore, probablement parce qu’elle est jeune et n’a pas encore d’enfant à qui se consacrer. Son mari est une sorte de masse informe étendue dans le canapé, incapable de comprendre ou même d’entendre le désarroi de sa femme : il est un peu ce poids mort qui tire Justine et le film vers ce qu’il y a de plus attendu, de plus conventionnel, à tel point qu’on n’imagine difficilement comment ils ont pu concevoir ensemble l’idée du bonheur.
Sans être exceptionnelle, Jennifer Aniston (qu’on souhaite débarrassée du personnage de Rachel) réussit là une performance qui dépasse toutes attentes. Si elle est une incarnation, presque malgré elle, d’un glamour américain des années 1990, elle compose avec une subtilité non dissimulée un personnage aux antipodes de ce que les tabloïds nous laissent imaginer. Comme dans son premier long-métrage, L’Objet de mon affection, l’actrice s’arme de persévérance et d’une évidente humilité dans la représentation de son personnage, ce qui sied à ravir au cinéma qu’elle souhaite défendre. Reste que Miguel Arteta, qui n’a vraisemblablement d’yeux que pour Justine/Jennifer, tend à sous-exploiter l’originalité de son récit, un brin trop linéaire. De plus, il s’abrite derrière une mise en scène et une réalisation trop conventionnelles dans leur ensemble et parfois impersonnelles.
Le film survole avec attachement une galerie de personnages secondaires, croisés et oubliés, dont aucun, pas même Holden, ne réussit à percer le mystère de Justine. The Good Girl reste une jolie réussite puisqu’il conserve l’ambiguïté et l’ironie amère de son titre. Alors qu’aucune éclaircie durable n’a su se profiler à l’horizon, l’œuvre n’hésite pas à nous montrer ce qu’il peut y avoir de plus terrible pour chacun d’entre nous : la résignation, c’est-à-dire en d’autres termes, la perte de son individualité.