Dans une cave éclairée par des effets clairs-obscurs, théâtre d’un massacre particulièrement sanglant, le corps d’une femme nue à moitié immergé dans le terre est découvert par la police. Malgré cette scène d’exposition très ordinaire, le cinéaste André Øvredal semble bien plus intéressé par la mise en valeur de ce corps sans vie que par les figures policières, réduites à des silhouettes exécutantes et à des rouages scénaristiques — la police exige une autopsie de la victime pour le soir-même, obligeant ainsi les personnages principaux à rester à la morgue, décor principal du film. Par sa blancheur éclatante, ce cadavre illumine littéralement la morosité des lieux (la couleur de la terre tire presque à l’orange). Comme si ce corps sans vie irradiait les lieux par sa présence et réanimait ce qui, en apparence, est mort. C’est bien tout le propos du film.
Condensé d’imaginaires et de récits
The Jane Doe Identity apparaît d’abord comme une classique histoire de revenants et de diableries. Pourtant, par son idée de départ plutôt astucieuse — tout se passe sur une table d’autopsie — le film empêche l’identification immédiate des contes classiques et mythes horrifiques populaires. Ce qui saute au contraire aux yeux sont les motifs visuels et références narratives de leurs plus célèbres transpositions littéraires et cinématographiques — les romans de Stephen King et leurs adaptations en tête. Le geste du cinéaste et de ses scénaristes peut d’ailleurs s’analyser comme une tentative de détournement de Shining — non pas sur le mode parodique, puisque le film assume jusqu’à la fin son registre de l’épouvante, mais un pastiche sous forme d’hommage.
Pas à pas, le film examine ce corps nu en même temps qu’il déploie ses mécaniques narratives — mystère croissant grâce à l’accumulation de découvertes irrationnelles faites par des scientifiques rigoureusement méthodiques. Pourtant, par sa volonté de tout expliquer, The Jane Doe Identity rate son parallèle avec le Shining de Stanley Kubrick. Le schéma, après tout, est assez similaire : par une ruse du diable, les protagonistes se retrouvent poussés au meurtre. Sauf que le mystère était total chez Kubrick puisque reposant sur un geste fantastique mené au bout de sa logique (aucune explication aux présences surnaturelles). Alors que dans The Jane Doe Identity, le scénario cherche à justifier la moindre péripétie et s’aventure dans une explication de l’origine du fléau, là où Shining restait allusif. Cette chute, en soi, est décevante, mais apporte une dimension inespérée : un retour sur les mythes qui ont nourri l’histoire américaine, même dans ses heures les plus sombres, renvoyant astucieusement à la question de l’identité (« Jane Doe », soit une inconnue ou une madame tout-le-monde) et du territoire.
Identité nationale ?
Dès la présentation des personnages principaux, les médecins légistes Tommy et Austin, tout était déjà question d’un entre-deux, entre anonymat et sphère publique : le montage découpe leurs gestes dans un jeu d’accumulation morbide et de rigueur biologique (les organes fraîchement extraits et minutieusement détaillés), réduisant ainsi ces personnages à leur dimension praticienne, annihilant toute cartographie relationnelle ou filiale. Il semblerait que le cinéaste ait attaché bien plus d’importance dans la mise en lumière de Jane Doe que dans l’interaction entre Austin et Tommy, plutôt stéréotypée. Ce corps mort mais étonnamment bien conservé est aussi la confirmation de l’intérêt d’Øvredal pour une modeste réflexion sur le poids d’un héritage (ou d’une dette) — dimension culpabilisante que finira par ressentir Tommy en résolvant le mystère.
The Jane Doe Identity peut se comprendre comme un panorama d’une partie des mythes horrifiques populaires : récits de possession, de maléfice, et de satanisme. Des légendes fantastiques déclinées à foison par la littérature (Lovecraft, Poe, King) et le cinéma. C’est que ces auteurs et ces récits, par leur pessimisme et leur registre du merveilleux sont aussi une contestation de l’optimisme associé traditionnellement à l’esprit critique. D’où finalement cette astucieuse association entre « humanisme » (la rigueur d’une analyse scientifique rationnelle) et phénomènes surnaturels. Sous ses apparats modestes de petite production horrifique, The Jane Doe Identity propose une déconstruction malicieuse des imaginaires qu’il détourne à son compte.