Le jeu des apparences
Il y a dans cette troisième réalisation de Hicham Lasri une recherche évidente pour désarçonner dès le départ les croyances du spectateur, en exploitant les écarts entre les prétentions des personnages et leurs situations réelles. Cet écart, il est subi de plein fouet par le personnage principal, Tarik, un homme qui se travestit et danse à l’occasion de fêtes et de mariages. Seulement, derrière ces artifices, Tarik affiche depuis quelque temps une mine épuisée, dévorée par un sentiment d’impuissance. La gloire lui a tourné le dos, comme ses enfants et son épouse, tant son activité remet publiquement en cause sa virilité et sa masculinité.
Ce désœuvrement, il est également partagé par ses compagnons de route : son père pleure l’inévitable mort de son âne, tandis que ses acolytes musiciens trompent leur ennui dans des discussions aux velléités métaphysiques. Pour ces personnages, membres de la même fanfare, l’enjeu consiste donc à rebondir, à rechercher du sens à leur existence et à se donner les moyens de poursuivre leurs trajectoires, malgré les difficultés. Si ce tableau est peu reluisant, la raison se situe moins dans une ambition de dénonciation politico-sociale du cinéaste (à ce titre, aucun repère chronologique ni spatial n’est d’ailleurs explicitement donné) que dans un souhait de rallier à tout prix le fond et la forme et concevoir une fable visuelle complexe.
La diagonale du vide
Une telle entreprise se vérifie notamment à l’image par le recours à une photographie en noir et blanc, décuplant le sentiment d’un espace déserté et les traits d’une époque sans véritable ancrage, comme si nous étions immergés dans une temporalité fantôme, ni ancestrale, ni vraisemblablement moderne. Dans ce décor, la déambulation de Tarik fait basculer la chronologie du film dans un axe intime, qui obéit aux tergiversations du personnage, mais qui a le défaut de déstructurer lourdement le montage. La quête de sens de Tarik devient rapidement un prétexte à une recherche d’innovation visuelle, aussi ambitieuse que lourde, jonglant par exemple entre la surenchère d’effets de ralentis, et une voix-off abusive, qui étrangle elle-même la pertinence de sa fonction dramatique. Un tel dispositif déploie ici un langage visuel hybride, dont on ne peut nier l’atypie recherchée, mais qui devient sitôt bavard, comme dénué de sens.
À la manière de Tarik, nous avons donc rapidement le sentiment de tourner en rond, constatant rapidement l’artificialité de la quête de sens des personnages, incapable de pouvoir soutenir à elle seule une expérimentation visuelle aussi ambitieuse. De cette fable étrange, l’on regrettera surtout la timidité du cinéaste face à ce qui aurait pu fournir au film une plus grande ampleur : le perpétuel réagencement du cadre filmique. À plusieurs reprises, Tarik et sa troupe tente de recomposer avec de simples cartons un cadre filmique, et conçoivent une scène derrière laquelle peuvent perpétuellement se rejouer les intrigues. Il y avait pourtant là une idée intéressante tant il s’agissait pour les personnages de s’extirper des conventions comme n’a de cesse de le réclamer Tarik « J’aimerais m’échapper du cadre. » Dommage pour lui et pour nous, que ces tentatives soient restées si muettes.