Au rayon des prequels que personne n’a vus venir tant leur nécessité est loin d’être évidente, The Thing — prélude, donc, à The Thing — se pose là. Sous le coup de la perplexité, on prendrait presque pour un bon présage le fait que ce film reprenne le titre exact de son inspiration, rompant ainsi avec le standard pompeux des titres de prequels, qui nous promettait des instants d’hilarité comme The Thing Begins ou Rise of the Thing. Il a un bon prétexte pour cela : son intrigue précède directement celle du film de John Carpenter, au point de se conclure en bouclant la boucle sur la première scène choc de ce dernier (celle qui, rappelons-le, implique un chien et un hélicoptère). Les producteurs de ce prequel ambitionnent de ne pas offrir un épisode de plus, mais une partie qui, juxtaposée au film originel, constituerait un seul et même récit. L’ambition narrative est louable. Seulement, au vu de la juxtaposition, un déséquilibre saute aux yeux.
Si malgré nos efforts, le préjugé supposant l’infériorité de tout remake/suite/prequel comparé à l’œuvre originale subsiste d’entrée de jeu, c’est parce que dans ce cas précis, la notion même de prequel, d’ « origine du mal », paraît antinomique de la substance du film de Carpenter. Celui-ci base son efficacité sur le doute suscité non seulement par les zones d’ombre, la caméra suggestive, les apparences humaines soudain indignes de confiance, mais aussi par le fait que la menace est d’origine tout à fait inconnue. Pas d’explication, pas d’historique : la « chose » est simplement là — elle y a peut-être toujours été avant que les hommes ne viennent la déranger — il ne saurait être question d’en saisir les contours. De son côté, le prequel reconstitue consciencieusement tout ce qui s’est passé dans cette base norvégienne de l’Antarctique avant que Kurt Russell et sa bande ne viennent en inspecter les décombres, exhibe sa « chose » et ses ravages physiques — comme l’assimilation de ses victimes — plein cadre et plutôt dix fois qu’une. Ainsi porté par son cahier des charges d’exposition et de réponse à des questions de scénario qu’on ne se posait pas vraiment, il donne l’impression d’avancer à rebours de l’héritage du film qui l’a inspiré, alors même qu’il en reprend ostensiblement les principes les plus facilement saisissables (mutation, contamination, paranoïa, usage du lance-flamme…). Les ponts qu’il lance vers le film de Carpenter apparaissent dès lors comme autant de points de comparaison en sa défaveur, et laissent seulement espérer l’émergence d’une valeur ajoutée qui lui serait propre.
L’horreur standardisée
Le meilleur service à rendre à « la Chose » de 2011 serait a priori de le considérer hors de toute référence à « la Chose » de 1982, comme un film de monstre se suffisant à lui-même — et annonçant évidemment une suite. Ceci dit, même sous cet angle (difficile à atteindre, tant le film fait des efforts pour montrer sa fidélité au matériau de base), le spécimen peine à se faire une identité. Le novice néerlandais Matthijs van Heijningen Jr se révèle un bon exécutant, qui plus est aidé par des effets spéciaux convaincants nous servant une « chose » loin d’être ridicule, protéiforme aux contours de chair torturée. Mais il ne montre pas le quart de l’efficacité, du sens de l’espace et du temps propres à tirer le meilleur des composantes que lui et le scénario qu’il illustre ont repris d’un autre film et articulent mécaniquement : peur de l’assimilation, paranoïa généralisée, l’homme se retournant contre l’homme et remettant en question son humanité. Les éléments susceptibles de porter ces idées — les personnages dont chacun pourrait cacher un monstre et en engendrer un autre, l’usage d’une arme aussi terrifiante que le lance-flamme, les petits coups de théâtre finaux (lesquels n’en seront pas vraiment pour qui se souvient des premières minutes du film de 1982) — restent ici des accessoires tristement standardisés auxquels on s’habitue : mot terrible pour un film d’horreur. Seules les dernières images, raccord avec le film de Carpenter conclu abruptement par les coups de feu martelant l’urgence face à la menace, rendent tant soit peu palpables les enjeux. Elles n’en éclairent guère pour autant sur ce qui a pu pousser à adjoindre, à un joyau du cinéma d’épouvante se suffisant largement à lui-même, cet appendice tout à fait anecdotique.