Vendu comme le premier film-catastrophe de l’histoire des cinémas scandinaves, The Wave pourrait se présenter comme un petit avatar norvégien du récent — et navrant — San Andreas américain, se basant comme ce dernier sur une hypothèse géologique sérieuse, objet de fantasmes populaires mais bel et bien surveillée par les scientifiques. Le film suppose donc que le pire a bien lieu : un soir, tout un pan de montagne s’effondre dans le fjord de Geiranger, provoquant un tsunami qui va ravager la petite ville touristique voisine du même nom. Sur cette base, il n’est pas très difficile pour The Wave de se démarquer, au moins en partie, d’un blockbuster hollywoodien au budget inaccessible. La soudaineté de l’événement et le décor naturel clos du fjord limitent, en temps et en espace, le spectacle de la destruction à l’œuvre. En contrepartie, cela laisse plus de place aux prémices de la catastrophe et à la désolation qu’elle laisse derrière elle ; et plutôt qu’investir notre champ de vision avec cette catastrophe, le film instaure entre elle et notre regard une distance discrète. Si The Wave rejoue, au moins sur le papier du scénario, quelques standards du genre (une famille à réunir, un spécialiste aux compétences vitales et dont c’était justement le dernier jour de travail, un survivant paniqué et encombrant, etc.), il parvient l’air de rien à nous déplacer d’une position de spectateur-consommateur de destruction à une autre, d’où l’on se trouve plus attentif à ce qu’il y a à côté. L’illustration de la catastrophe, elle, convainc inégalement : si l’image nocturne, baignée dans une clarté lunaire, d’une grande vague blanche prête à tuer amène une dimension narrative fascinante, les décors de la ville en ruines, eux, ont l’air de gros monticules de bois trop bien entassés, comme des obstacles de jeu vidéo (et la lumière soignée, paradoxalement, n’arrange pas ce ressenti).
Fragile
Cependant, The Wave force surtout l’intérêt en creusant subtilement, et dès le début, une dimension souvent négligée dans le genre du film-catastrophe (et particulièrement dans un produit comme San Andreas) : le doute de l’individu. Il y a ce personnage principal, Kristian, géologue et père de famille, un des mieux placés pour étudier et prédire la catastrophe, mais sur le point de quitter son poste et la région pour un plus grand confort. Ce qui soudain le retient, le met en inconfort et en alerte vient moins de son expérience scientifique que d’une sombre intuition à la source indéfinie — un « et si… ?» formé dans sa tête et qui pourrait être autant le fruit de ses réflexes professionnels que de la peur d’un avenir incertain eu égard à sa situation de transition actuelle. Et quand les autres rejettent son alarmisme, le Cassandre ravale ses prédictions, rentre dans le rang, tâche de reprendre le cours de son confortable agenda — mais le « et si…» demeure tapi en lui, sourd, qui vient même sournoisement atteindre le spectateur pourtant plus averti de la suite (n’est-il pas là pour ça ?). Et l’on trouve là, brièvement, une fine dialectique sur la fragilité de la voix discordante, celle qui émet l’hypothèse minoritaire, face au concert de la certitude sociale qui tente de la soumettre et de la faire s’éteindre d’elle-même — certitude qui sera balayée quand la société se verra meurtrie par la catastrophe. La fragilité, elle, ne cessera d’habiter le personnage que le film accompagne pas à pas, animera les traits inquiets de l’acteur Kristoffer Joner (convaincant dans le rôle du quidam ordinaire sommé d’agir face à l’extraordinaire), hantera chacune de ses décisions jusqu’aux plus héroïques (ou irréfléchies, on ne sait trop), et en fera finalement le plus fascinant du lot, plus que l’autre personnage suivi par le film — son épouse, écrite comme une figure maternelle forte et prête à repousser ses limites pour sauver les siens, mais suscitant moins de mystère.
Une autre dimension
Il n’est plus si courant, aujourd’hui, de voir des films-catastrophe tâcher à ce point de faire exister les individus, de donner corps à leurs doutes avant, pendant et après. Même les spectateurs et les critiques, dans leur majorité, considèrent le genre essentiellement sous les angles de l’accomplissement plastique, du degré de noirceur de la représentation, de l’image renvoyée de la société mise en pièces (de même le 11-Septembre a‑t-il influencé les lectures des scènes de destruction massive dans les films américains qui ont suivi). On repense à un fleuron du genre (même s’il vient théoriquement de la science-fiction), certainement le plus commenté de ces dernières années, en bien comme en mal : La Guerre des mondes de Steven Spielberg. On a beaucoup analysé son efficacité dans le spectacle de l’annihilation de masse, la violence de sa peinture d’une Amérique paniquée, et sous une lecture plus auteuriste la manière de Spielberg de faire frémir les repères de son propre cinéma, comme la cellule familiale. Ce faisait, on passait outre les moyens parfois critiquables qu’il se donnait pour obtenir ce résultat, tels qu’introduire des figures de personnages auxquelles il ne semble pas croire tant que cela, comme le héros présenté comme un père défaillant par des moyens caricaturaux. The Wave, lui, semble s’être plus consacré au parcours de son papa géologue livré à lui-même qu’au reste du monde, au devenir de la communauté en ruines, à la confrontation avec le gigantisme meurtrier. S’il satisfait avec application le cahier des charges, ses yeux sont tournés vers une dimension plus intime, plus secrète. Tant pis pour la puissance du spectacle, tant que les regards du cinéaste et du spectateur gardent quelque chose à suivre.