L’œuvre de Shinji Aoyama, pourtant prolifique, n’a que fort peu eu les honneurs d’une distribution hexagonale – probablement pas, en tout cas, à la hauteur des espoirs suscités en 2000 par Eureka. C’est donc avec une curiosité enthousiaste que l’amateur verra la sortie inopinée de Tokyo Park – le novice aoyamite, quant à lui, sera bien inspiré de s’y consacrer, tant le talent du réalisateur s’y exprime, toujours intact.
Et pourtant, le film apparaît daté : il porte les stigmates des récits urbains désespérés des années 1990 tokyoïtes, de la littérature de néon et de métal de Ryu Murakami et consorts, de ces récits préoccupés de débusquer les vies secrètes derrière les apparences clinquantes et artificielles. De ces années qui virent, également, le déferlement nippon sur les écrans français : une vague dont Shinji Aoyama, au même titre que le passionnant Kiyoshi Kurosawa, un des plus illustres représentants. De cette esthétique narrative, Aoyama retient la nature profonde : pourtant ancré dans un réel scrupuleux, où même le surnaturel est traité de façon purement factuelle, le récit est avant tout symbolique. Le réalisateur cherche le secret derrière l’image, le cœur derrière le personnage. Ce n’est pas un hasard si son protagoniste principal est photographe : au fil de ces clichés, au sein de ces images reprises hors contexte, montées, relues loin du réel, il va résoudre un puzzle qui va l’impliquer profondément.
Le monde de Shinji Aoyama est un monde bloqué : le dialogue ne passe pas. Les apparences importent parce que l’on ne parvient pas – plus ? – à se dire les choses. Filmer serait-il une façon similaire de contourner les carences du langage parlé, du lien social ? En tout cas, il est certain que Shinji Aoyama ne résoudra que la portion congrue des conflits qu’il met en scène : le cinéaste semble rejeter le mélodrame – vers lequel, pourtant, tend une large partie de son intrigue multiple. Au contraire, il privilégie une approche frontale, sans affect, de ses nœuds narratifs : c’est une caméra paisible qui va saisir les conflits familiaux les plus éprouvants, les situations les plus surnaturelles.
C’est ainsi que Shinji Aoyama va proposer sa propre version du film choral : une approche lente, apaisée, qui dissimule pourtant une véritable soif de briser le carcan du silence imposé par les conventions sociales. Là où la plupart des films choraux semblent se délecter de la façon dont ils entremêlent les récits, dont ils jouent avec le hasard, le réalisateur ne se sert de cette forme que pour souligner ce qui, au fond, lie véritablement tous ses personnages : un secret oppressant, une incapacité à recourir à la simplicité pour parler à l’autre.
Shinji Aoyama ne juge pas : il semble poser sa caméra au nœud d’un entrelacs de désirs, de peurs et de non-dits qui donne à son cinéma l’apparence de la vie même. Gracile, léger, le cinéaste parvient à capter l’instant où se dénouent les fils, tandis que d’autres s’entremêlent déjà. Avec délicatesse, il parvient à nous donner à voir ce qui débute et ce qui se termine, ce qui persiste : en somme, ce qui valait la peine d’être raconté.