Avec son titre en forme de slogan capitaliste, les décors glacés de la haute finance et le pitch de cette trentenaire débarquant dans une boîte grevée par les jeux de pouvoir, Tout de suite maintenant ne fait pas de mystère : il s’agira bien de dater le présent. À ce petit jeu des radiographies de l’air-du-temps, deux écueils : le premier c’est bien sûr de ne pas inventer grand-chose, de ne rien faire découvrir du tout, bref, de prendre le risque de voir le film grossir le catalogue des enfonceurs de portes ouvertes. Le second, qui va souvent de pair avec le premier, c’est de prendre le wagon en sens inverse, de carrément rater le train de son époque – le syndrome Bird People de Pascale Ferran, où la fiction découvrait les dérives du smartphones avec cinq ans de retard. Avec Tout de suite maintenant, on n’en est quand même pas là. D’abord parce que le film, pourtant nanti d’un casting imposant, ne cherche jamais à en faire des tonnes. Il y a dans les manières un peu froides de sa mise en scène, réfléchie par les visages marmoréens d’Agathe Bonitzer et d’Isabelle Huppert, une modération plus subtile qu’il n’y paraît. Alors qu’il pourrait mettre son maniérisme au diapason des cœurs de glaces de la fusion-acquisition, le raffinement suave des décors de Bonitzer, avec ses costumes impeccables et ses intérieurs toujours clean, assimile peu à peu l’univers grand-bourgeois à une somptueuse cage dorée. C’est que l’enjeu premier consiste, un peu comme dans Elle de Verhoeven – à qui le film emprunte Isabelle Huppert au débotté –, à soigner l’allure de l’écrin. Mais la comparaison n’ira pas plus loin, car Tout de suite maintenant délaisse d’emblée la voie de la farce pour une adaptation d’Hansel et Gretel au CNIT de la Défense. On y suit ainsi Agathe Bonitzer, working girl déterminée, s’extirpant du piège carriériste qui se referme sur elle comme une maison de pain d’épice, avant de tomber amoureuse de son collègue (Vincent Lacoste, très bien), alléché lui aussi par l’hameçon sucré d’une vie de golden boy.
Utopie démissionnaire
Or, puisque l’épilogue se garde bien de nous dire s’ils vécurent heureux ou non, on se hasarde à le faire à sa place : probablement pas. Pourquoi ? Parce qu’en dépit du happy end, l’évasion ne fait que remplacer une illusion par une autre (l’amour) sans que les personnages ne se remettent véritablement en question. Il ne s’agit pas de reprocher au film des ambitions qu’il n’a pas, mais de se demander si son air timoré ne cache pas le programme passe-partout d’un ré enchantement un peu stérile. À ce titre, on aurait probablement été plus indulgent avec Bonitzer si Toni Erdmann (vu pendant Cannes, et qui sortira cet été) n’avait pas montré, sur un sujet à peu près similaire (l’héritage contrarié d’un papa envers sa fille, qui fait carrière en fusion-acquisition), que la farce est la meilleure arme contre le cynisme. À l’inverse, le conte de fée ne propose qu’une échappatoire utopique et, au fond, un peu déprimante. Dès lors, si Tout de suite maintenant finit bien par refléter son époque, c’est un peu malgré lui : l’épilogue sentimental, voyant l’héroïne faire le choix de l’amour au prix de ses ambitions, ancre la fiction dans la logorrhée un peu simpliste du grand ras-le-bol démissionnaire. Bref, pas complètement à côté de la plaque sans pour autant apporter le moindre éclairage sur son temps (on pense aux charges embarrassantes contre Twitter et les réseaux sociaux), il y a fort à parier que le film ne fera pas date. Reste, un cran au-dessus des autres, la performance quatre étoiles d’Isabelle Huppert qui, tendant un reflet mûri à Agathe Bonitzer, contribue grandement au succès de sa cadette. Laquelle vient ajouter, avec ce rôle tout en contrastes subtils, une corde supplémentaire à son arc de biche éplorée.