On peut reprendre les paroles d’une chanson de Philippe Katerine pour définir le profil de Chris Waitt : « Sentimentalement suicidaire, professionnellement démissionnaire ». Le dit morceau se poursuit ainsi : « Je suis une merde et je vous emmerde. » Qu’en est-il ici ?
Le réalisateur britannique Chris Waitt vient de se faire plaquer, une fois de plus. Il a tout de l’adolescent attardé, un grand échalas dégingandé fagoté n’importe comment et vivant dans un capharnaüm ; il a une tête d’oiseau tombé du nid, c’est un inadapté mélancolique, pour ne pas dire dépressif. Il décide donc de mener l’enquête, muni de sa caméra, en rendant visite à ses anciennes petites amies avec une question : « What’s wrong with me ?» (« Qu’est-ce qui ne va pas avec moi ? »). Il faut bien dire que, dès la première minute, l’on aurait bien quelques pistes à lui fournir ; mais le film étant déjà fait, on jouera au docteur Sigmund une autre fois…
Avec Toute l’histoire de mes échecs sexuels, on lorgne donc du côté de l’autofiction, « piège à con » s’insurgent certains. Loin d’être une nouveauté au cinéma, les exemples abondent, avec sans doute Jonas Mekas ou Chantal Akerman en tête. Touchant la littérature, depuis bien longtemps, le genre a fait florès dans la bande dessinée indépendante (voir les excellents albums de Fabrice Neaud ou Lewis Trondheim en France, de Joe Matt ou Chester Brown en Amérique du Nord) depuis les années 1990. Septième et huitième arts ont même fait cause commune, parfois avec réussite, notamment avec American Splendor (Shari Springer et Robert Pulcini, 2003), où cohabite une biographie filmée d’Harvey Pekar (superbement interprété par Paul Giamatti) et un documentaire avec le personnage réel, dont la vie crasseuse a servi de scénario à une série de comics dessinés par un Robert Crumb encore confidentiel à cette époque.
Mais le cinéma d’autofiction entre dans un dispositif différent de celui de la littérature ou de la bande dessinée. Dans l’ouvrage collectif Je est un film, Alain Bergala résume fort bien cette spécificité : « Tout filmage autobiographique entre plus ou moins dans une stratégie du cinéaste pour agir – par la présence de la caméra et des effets dans le réel de ce filmage – sur sa propre vie et sur ses relations avec les autres. Voire pour vivre quelque chose qu’il n’aurait pas vécu, ou pas de la même façon, sans le prétexte ou l’alibi d’un film. » Pour revenir au trivial Toute l’histoire de mes échecs sexuels, il est certain qu’ici l’intentionnalité déclenche des actions qui n’existent que parce qu’elles entrent dans le cadre d’un film. Et d’une fiction pourrait-t-on dire, notamment lorsque Chris Waitt se bourre de viagra et qu’il se lance dans les rues pour soulager une érection de tous les diables. Cette séquence sera d’ailleurs, indirectement, à l’origine du terme heureux de cette entreprise filmique.
Très loin de la déconstruction ou de la méditation, le film présente au contraire une structure dramatique des plus classiques. Une scène d’exposition d’abord, une longue série d’échecs (le film et l’existence) ensuite, la catharsis et le happy end enfin. Toute l’histoire de mes échecs sexuels est avant tout un film basé sur un montage qui lui donne, avec une agréable bande musicale (le film est produit par Warp X, la division cinéma du précieux label discographique Warp Records), son aspect rythmé et son ton comique. Car ce n’est pas la moins bonne nouvelle du film, pour le reste très limité et parfois tout à fait irritant, il nous accorde des sourires et même quelques rires francs. Quelques surprises aussi, notamment parce que le film, parti de l’échec sentimental, se recentre sur le phallus de l’amoureux sans cesse éconduit. Il est certain que Chris Waitt ne devient pas, loin de là, un ami cinématographique intime et personnel qui vous transporte et transforme, comme peuvent l’être Nanni Moretti ou Alain Cavalier avec Le Filmeur ; ce serait plutôt une vague connaissance dont on aurait perdu le numéro de téléphone, que l’on croiserait sans déplaisir, par hasard, dans la rue.