Si les frères Coen ont souvent joué avec les références du western, ils franchissent ici un cap en réalisant le remake d’un film mineur d’Henry Hathaway, 100 dollars pour un shérif, dont le principal intérêt était la présence d’un John Wayne imposant. Mais, affaiblie par un scénario poussif et une distance glaçante, la fratrie ne réussit pas, malgré quelques apports, à faire valoir l’intérêt d’une telle reprise.
Au départ, il y eut un film assez anodin d’Henry Hathaway, qui ne parvenait pas à masquer derrière son acteur vedette les profondes faiblesses d’une histoire au classicisme un peu éculé et à la morale gentillette. Si les Coen ne sont pas allés aussi loin dans le mimétisme modernisant qu’un Gus Van Sant et son Psycho, ils reprennent une grande majorité des scènes d’origine, en altèrent d’autres ‑dont la fin, totalement détournée‑, et ont troqué le Technicolor flamboyant des années 1960 pour une densité nocturne qui ressemble davantage à No Country for Old Men qu’aux derniers westerns de John Ford. Des paysages sublimés par les levers et les couchers de soleil, il ne reste donc qu’un désert où s’entassent les morts, une Amérique de cimetières, de violence sans aucun espoir sotériologique. Mais en dehors de cette noirceur martelée, la patte Coen semble bien faible. Le ton est là, mais il ne sert pas à grand-chose. Vouloir réactualiser un film mineur n’a d’intérêt que si la version moderne outrepasse les défauts premiers et pose un regard particulier, transgressif ou non, sur le genre choisi. L’adaptation linéaire de ce True Grit reproduit malheureusement davantage les limites de l’opus originel et ne s’interroge que trop rarement sur le principe même du remake.
La variante des Coen se trouve dans l’affaiblissement des thèmes et des personnages qui faisaient la fierté de l’Amérique. Nous sommes aux confins de l’Ouest, entre le comté de Yell et le territoire des Choctaw : une jeune fille, Mattie Ross, quatorze ans, toutes ses dents et une langue bien pendue, cherche à venger son père, assassiné de sang-froid par un mercenaire poursuivi par la moitié de la région, Tom Chaney. D’une maturité étonnante, elle engage un U.S. Marshal vieillissant porté sur le whisky, Cogburn, et sera aidée de temps à autres par un Texas Ranger qui répond au nom de LaBoeuf. Après une présentation assez longue des enjeux pourtant simples ‑la fifille est déterminée à poursuivre sa quête jusqu’à l’arrestation de Chenay‑, les comparses se mettent en route, rencontrant sur leur chemin différents spécimens rapidement évacués. Qu’en est-il de l’apport des Coen ? Les rencontres sont plus violentes que chez Hathaway qui ne filmait pas de mains coupées en gros plan ; Jeff Bridges et Matt Damon ont l’héroïsme moins éclatant que John Wayne et Glen Campbell, et le personnage de Mattie, plus sombre et marmoréen que dans la version initiale, a la vengeance bien plus amère. Même les développements métaphysiques chers aux cinéastes sont balayés en deux coups de cuiller à pot par la citation d’un proverbe de Salomon : bonne ou mauvaise, la conscience n’est pas leur problème ici.
N’ayant ni approfondi les thèmes effleurés par 100 dollars pour un shérif, comme la dichotomie entre vengeance et justice, ni rempli les vides abyssaux laissés par un scénario peu ficelé, les Coen se retrouvent exactement face au même problème qu’Hathaway : n’ayant rien à filmer en dehors d’un décor renouvelé par le lugubre, ils finissent par ne plus s’intéresser qu’à leurs acteurs, amplifiant peu à peu la distance de la mise en scène à son objet, dont l’intérêt narratif se réduit comme peau de chagrin. Soulignons au passage que les trois protagonistes (Hailee Steinfeld, Jeff Bridges et Matt Damon) honorent leurs contrats et s’adaptent parfaitement au phrasé si particulier, à la limite du compréhensible, des deux frangins. Mais cela ne suffit pas à maintenir un rythme, à intéresser l’œil qui se focalise sur un combat d’acteurs, et l’oreille, saturée par une musique digne des pires morceaux de bravoure eastwoodiens. Sûr de son atmosphère, True Grit néglige son décor humain secondaire, ses péripéties et son combat : la quête est longue, mais l’apparition du grand méchant Tom Chenay, figure du dénouement, est forcément décevante dans ces conditions. Le plan final a beau être magnifique, True Grit ressemble à un film centriste : il ajoute une forme de brutalité au roman de Portis sans se pencher sur la question de la violence ; il ternit les personnages du Marshall et du Ranger sans oser la férocité. Après The Ladykillers et True Grit, il est certain que les frères Coen devraient choisir un peu mieux leur matériau quand ils s’essayent au remake, ou s’en construire un propre pour ne pas se laisser aller à la paresse.