L’affiche de Truth : le prix de la vérité résume bien le propos du film en noyant les visages de Cate Blanchett et de Robert Redford dans un drapeau américain. Pour son réalisateur et scénariste James Vanderbilt, les journalistes dont on va suivre le destin sont des héros patriotiques.
Durant la première heure, comme englué dans la restitution des faits réels sur lesquels il s’appuie, Truth : le prix de la vérité peine à trouver sa pleine mesure. Il donne une sensation d’extrême lourdeur. Auteur des scénarios de White House Down ou de Bienvenue dans la jungle, James Vanderbilt n’est pas tout à fait un habitué de la grande finesse.
Les pires clichés des productions made in USA se succèdent. L’équipe d’enquêteurs devant creuser le passé militaire de George W. Bush est constituée comme celle de Mission Impossible, avec chacun sa spécialité (geek documentaliste, ancien marine devenu expert en questions militaires…). La description de la vie familiale de l’héroïne est d’une banalité sans nom, avec enfant et mari parfaits comme extraits d’une publicité pour lessive. Et l’héroïne elle-même, avec son côté seule contre tous à la Erin Brockovich, a tendance à lasser car déjà vue.
Point de bascule
Comparer Truth : le prix de la vérité au récent Spotlight et son Oscar du meilleur film vient évidemment à l’esprit. Même si nous avions émis des doutes sur la mise en scène assez plate de Tom McCarthy, ce dernier réussissait à faire exister chacun des membres de son collectif. Maîtrisant le champ et le contrechamp, et guère davantage, James Vanderbilt n’arrive jamais à rendre compte d’un véritable travail en équipe. Paradoxalement, ce serait presque la description du rôle des dirigeants de la chaîne CBS où se noue le cœur de l’action qui sonne le plus juste. Leurs hésitations entre la défense revendiquée de l’information de qualité et les intérêts financiers à préserver les rendent bien plus passionnants que les chevaliers blancs décrits au niveau de la rédaction.
Et puis le film bascule. La diffusion du reportage dont on a suivi jusqu’alors la conception n’est pas le scoop escompté et signe plutôt l’arrêt de mort journalistique de ceux qui l’ont conçu. Relayés par des médias concurrents, les doutes se multiplient en effet sur la véracité des documents qui ont été diffusés à l’antenne. James Vanderbilt conserve son style empoté et certains personnages secondaires gardent leurs contours épais. Mais le long-métrage prend lui son envol. Truth : le prix de la vérité délaisse son ode ampoulée au travail des journalistes chantres de la démocratie pour virer à la tragédie en mode mineur.
L’action se resserre autour de Cate Blanchett (la productrice Mary Mapes) et de Robert Redford (interprétant le mythique présentateur Dan Rather). Le duo d’acteurs arrive à nous faire ressentir l’état de sidération vécu par leurs personnages pour qui tout s’écroule. Une belle relation père-fille – jusqu’alors esquissée à gros traits – prend soudainement corps jouant enfin sur les non-dits, les silences, plutôt que sur les longues tirades explicatives. La productrice s’en veut de causer l’inexorable perte de celui qu’elle admire par-dessus tout, le présentateur se retient de tout reproche couvant jusqu’au bout sa protégée même si elle est objectivement en tort.
Sens de la défaite
De manière assez surprenante pour un long-métrage prônant les grandes valeurs (intégrité, courage…) et mettant en avant une Amérique capable d’autorégulation via un quatrième pouvoir solide et indépendant, Truth : le prix de la vérité en vient à explorer dans son dernier tiers les failles de ses protagonistes. L’équipe menée par Mary Mapes et Dan Rather n’a pas été victime d’un complot machiavélique. Ils ont monté leur propre échafaud en s’écartant des fondamentaux de leur profession : croiser les sources, s’assurer de l’authenticité des documents produits, éviter les partis pris…
Truth : le prix de la vérité devient alors un film sur l’erreur humaine et ses conséquences parfois irréparables. En renversant le point de vue, en faisant de ceux qui sont habitués à mener la curée la cible des accusations, l’importance du journalisme bien fait prend des allures concrètes et non plus théoriques. Spotlight visait cet objectif en mettant en scène une victoire de la presse, certes obtenue à l’arraché. Truth : le prix de la vérité raconte cela par le biais d’une défaite, le constat est plus amer mais pas inintéressant.