Vivant à l’étranger, un couple souhaitant se séparer se retrouve à Paris pour célébrer le mariage d’un ami commun. Magnifiquement mise en scène, cette histoire simple et bouleversante portée par deux acteurs en état de grâce scrute les liens invisibles qui unissent les êtres et contemple la tristesse bouleversante des dernières heures d’une histoire d’amour finissante.
Ça vous colle à la peau quand on sort de la salle et que l’on fait quelques pas dans la rue. Ça vous colle à la peau des heures et des jours plus tard. Quoi ? Mais la beauté, la grâce. Pas forcément celle de l’histoire, mais celle d’une atmosphère, d’une lumière, d’un corps, d’une attitude rendue par une mise en scène minimaliste, épurée, par des cadres précis mais splendides. La beauté, l’élégance, ne sont pas dues au maquillage, à la dissimulation du vrai, au désir de noyer le réel dans une mise en scène baroque, précieuse. Non ! Nobuhiro Suwa a compris, à l’instar de Rohmer, qu’une certaine forme de préciosité pouvait advenir grâce aux moyens techniques les plus simples qui soient. Que le choix des acteurs et le choix précis d’un cadre mettant en valeur leurs corps pouvaient s’avérer être aussi efficaces que des travellings complexes et des prétendues beautés noyées par des spots ultra-puissants. Il faut regarder la beauté en face. Car c’est en agissant ainsi que l’on peut véritablement prendre conscience d’une de ses composantes essentielles : la terreur. La beauté est terreur. Dans Prénom Carmen de Godard est citée une phrase de Rilke : « La beauté est le commencement de la terreur que nous sommes capables de supporter. »
Valeria Bruni-Tedeschi n’a jamais été aussi belle, impérieuse, froide, désirable. Mais cette attitude a un prix dont Nicolas (Bruno Todeschini) fera les frais. Le stade ultime de cette beauté est la cruauté. Hostile, violente, cette beauté est comme une machine de guerre, une impératrice dont chaque revers de main est fatal. Dans ces moments précis, Todeschini est totalement dépassé, écrasé. Elle est trop belle et trop forte pour lui. Alors qu’elle est magnifiée par cette cruauté, lui est comme un petit garçon pris dans les griffes d’un félin majestueux et sadique. Face à elle, l’homme est alors réduit au mutisme et à l’impuissance. Nicolas semble grotesque, comme un petit garçon que l’on gronde. Alors qu’elle est droite et rigide comme une statue, lui est comme courbé, bossu, les bras écartés comme un primate, un homme des cavernes, mal rasé, peinant à articuler, paralysé par l’humiliation.
Ce couple n’est parfait qu’aux yeux des autres, par l’image qu’il donne de lui en société. Cette perfection est à la fois un modèle et une entité abstraite en représentation. Car le couple, comme le film, balance entre le privé et le public, l’intime et la dissimulation. Car, dans l’intime, c’est le drame qui se joue, investissant une scène répartie de façon radicale en deux : une chambre d’hôtel dans laquelle chacun dormira de son côté. Bipartition spatiale à l’image de la désunion amoureuse. Chacun investissant un camp. La rupture est consommée. Mais cette bipartition ne saurait être un moyen de préserver une certaine tranquillité en s’assurant que chacun possède son territoire et n’empiète pas sur l’autre, que chacun puisse avoir un espace à lui. Car dans ce cas précis, cette bipartition tourne plutôt au face à face, à l’affrontement. Marie, sur son lit, observe Nicolas comme un animal en cage, comme si elle était un spectateur. Et cette bipartition censée préserver les tensions ne fait que les accentuer. Cette mise à distance de l’autre permet de prendre du recul, de voir sous un nouveau jour la personne que l’on a aimée, en essayant de se convaincre qu’étant donné que plus aucune affection n’existe, le regard que l’on porte dorénavant sur l’autre est un regard neuf, vrai, objectif. Parce que l’autre est mis à distance on croit le voir véritablement pour ce qu’il est, niant ainsi le fait qu’une émotivité refoulée fausse totalement la perception que l’on peut avoir de l’être aimé jadis.
Ainsi, au début du film, revenant d’un dîner, chacun est sur son lit. Mais Marie fait mine de regarder Nicolas comme si elle le voyait pour la première fois et lui reproche d’être « faux », « mondain », prétendant avoir l’impression de ne pas le connaître. Lui ne répond rien. Nobuhiro Suwa, pour filmer cette scène, n’a pas recours à un classique champ/contre-champ : il ne s’attarde que sur elle. Alors qu’elle critique Nicolas, c’est pourtant elle qui est révélée. Alors qu’elle évoque ce qu’elle suppose être la personnalité de Nicolas, c’est pourtant sa personnalité à elle que découvre le spectateur. Pour se persuader qu’elle ne l’aime plus et que cette séparation est justifiée, elle a besoin de fixer son image et d’y projeter ses fantasmes. Seuls ses commentaires seront à même de la persuader qu’il est ce qu’elle prétend, car l’image pourrait prouver le contraire.
Mais Marie ne peut jouer jusqu’au bout cette comédie. De retour du mariage, elle reste muette. Bruno lui reproche son mutisme, considérant qu’elle « fait la gueule ». Alors, dans une scène magnifique, Marie craque, peut-être sous les effets de la fatigue et de l’alcool et, tout en rigolant, dit à Nicolas qu’il est « gentil », que c’est un « gentil garçon à sa maman ». Nicolas le prend mal et sort de la chambre. Il n’a pas compris que Marie venait de faire un terrible aveu d’amour. Derrière un masque cruel, tranchant, Marie ne peut que se rendre à l’évidence : Nicolas est gentil, terriblement gentil. C’est cette gentillesse qu’elle a aimée et qu’elle aime toujours. C’est cette gentillesse qui la fait fondre et la désarme. Puis, deuxième aveu : « tu es beau ». Alors, un deuxième point de vue féminin vient confirmer ces considérations, car la jeune femme que retrouve Nicolas après le mariage semble penser la même chose de lui. Elle est charmante, un peu ivre et le regarde avec malice, comme amusée par ses manières de petit garçon perdu.
À l’instar de Voyage en Italie, Marie semble renaître au contact d’œuvres d’art. Ses visites au musée Rodin évoquent les excursions en solitaire d’Ingrid Bergman dans le film de Rossellini : la sculpture de Rodin représentant deux mains qui s’effleurent fait écho au moule en plâtre réalisé sur un couple enfoui à Pompéi. Le présent d’un couple qui se sépare face à l’image d’un amour figé pour l’éternité, d’une union qui traverse les âges.